La Syrie en voie de «normalisation»
Paria international depuis dix ans, le régime de Bachar el-Assad bénéficie désormais de la volonté de rapprochement de certains Etats arabes
Bachar el-Assad, le président syrien, peut se frotter les mains. Non seulement les bombardements qu'effectue son armée ne produisent plus la moindre réaction internationale, mais les signes qui annoncent son retour diplomatique dans les enceintes internationales se multiplient: la Jordanie voisine est désormais décidée à se rapprocher de ce régime voué aux gémonies jusqu'il y a peu; la ligue arabe lui fait désormais, elle aussi, les yeux doux; en délivrant du pétrole iranien au Liban, la Syrie est apparue comme le «sauveur» de son petit voisin. Même à Genève, où reprennent des discussions sur la Syrie après des mois d'interruption, on salue les «efforts» du régime syrien. «He's back», «il est de retour», annonçait en Une un hebdomadaire américain, constatant le «triomphe» du président syrien.
La «fraternité» jordanienne
Soumise à des sanctions américaines, privée de relations diplomatiques avec la plupart des pays occidentaux – dont la Suisse – la Syrie d'Assad voit les constellations bouger. Les Emirats arabes unis (EAU) avaient déjà entamé le mouvement il y a trois ans. Après avoir contribué à financer la rébellion armée, la monarchie du Golfe rétablissait ses liens diplomatiques avec Damas et elle y rouvrait notamment son ambassade. Ces jours, le réchauffement a été plus visible encore, puisque le ministre syrien du commerce était reçu en marge de l'Expo 2020 de Dubai pour débattre de possibles collaborations économiques régionales.
Au terme de dix ans de guerre au cours desquels le président syrien a fait gazer à l'arme chimique sa population et provoqué l'exode de millions de Syriens, le retournement le plus spectaculaire vient de la Jordanie, dont le roi Abdallah II avait publiquement pourtant réclamé le départ de Bachar el-Assad. La Jordanie vient ainsi de rouvrir ses frontières avec la Syrie, et le monarque jordanien, saluant la «fraternité» entre les deux peuples ouvrait la porte à un futur sommet entre les deux chefs d'Etat.
«En réalité, la Jordanie aurait déjà aimé entreprendre ce rapprochement dans la foulée des Emirats. Mais à l'époque, les Etats-Unis de Donald Trump l'en avaient dissuadée, affirme Thomas Pierret, chargé de recherche au CNRS (Aix-en-Provence) et spécialiste de la région. Aujourd'hui, l'administration de Joe Biden a la tête ailleurs. D'où ces mouvements qui se succèdent.»
A quand un retour «triomphal» de Bachar el-Assad au sein de la Ligue arabe, comme cela commence déjà à être évoqué? Les Etats-Unis maintiennent encore la Syrie sous les sanctions découlant du Caesar Act, voté en 2019, du nom de «César», le pseudonyme d'un membre de la police militaire qui a documenté des milliers de morts et d'actes de torture dans les prisons syriennes. S'il n'envisage pas de «normalisation» avec la Syrie, Washington, cependant, n'empêche plus un tel rapprochement de la part de pays tiers. Un changement qui équivaut à un feu vert pour les pays arabes, attirés notamment par les perspectives économiques offertes par un pays en ruines qu'il faudra reconstruire.
Allègement des sanctions
C'est de cette manière que du pétrole iranien a pu ainsi transiter par la Syrie en direction du Liban. De même, la Jordanie compte sur un allègement des sanctions américaines, non seulement pour renforcer ses échanges avec la Syrie, mais aussi pour faire transiter ses biens en direction notamment de la Turquie.
Dans le même mouvement, l'organisation internationale de police Interpol, basée à Lyon, a entrepris une réintégration de la Syrie dans son réseau d'échange d'information, dont le pays avait été exclu en 2012. Résultat: Damas pourrait être habilité à récolter des informations, et même à réclamer l'arrestation de dissidents politiques qui ont fui les exactions du régime.
Alors que la Syrie compte désormais plus de 6 millions de réfugiés à l'étranger, et que 60% des Syriens ont été obligés de quitter leur foyer, selon les chiffres de l'ONU, cette «normalisation» se déroule en parallèle de la reprise des discussions de Genève qui visent, depuis près d'une décennie, à ramener la paix dans le pays. Cette fois, a promis Geir Pedersen, le diplomate en charge du processus, ces négociations seront «substantielles». Il s'agit, avec un comité restreint de 45 personnes, de trouver «la manière dont nous devons procéder pour la réforme constitutionnelle», a indiqué le diplomate norvégien.
«Ces discussions de Genève sont tout ce qui reste à l'opposition regroupée au sein du Conseil national syrien, note Thomas Pierret. Même si elles n'ont pas d'autre utilité, elles servent les intérêts de tout le monde. Au régime, elles permettent de montrer qu'il est prétendument ouvert au dialogue. Et l'opposition peut ainsi affirmer qu'elle sert encore à quelque chose.» Cette session doit durer une semaine, au Palais des Nations de Genève.
Alors que plus de 13 millions de Syriens dépendent aujourd'hui de l'aide humanitaire pour survivre, et que presque 90% de la population vit sous le seuil de la pauvreté, Geir Pedersen a toutefois confirmé que le processus de réforme constitutionnel en cours «ne suffira pas à résoudre la crise syrienne». ■
A quand un retour «triomphal» de Bachar el-Assad au sein de la Ligue arabe?