Centres d’asile: des cas de violence isolés
L’enquête commandée par le Secrétariat d’Etat aux migrations pointe un usage disproportionné de la contrainte à l’égard des requérants dans certains cas
Rien n’indique qu’une violence systématique s’exerce dans les centres fédéraux pour requérants d’asile: c’est la principale conclusion de l’enquête ordonnée par le Secrétariat d’Etat aux migrations (SEM). Au printemps dernier, l’ancien juge fédéral Niklaus Oberholzer avait été mandaté pour faire la lumière sur des abus dénoncés dans les médias, mais aussi par Amnesty International dans un long rapport publié en mai. L’enquête pointe toutefois un «usage disproportionné de la contrainte» dans certains des cas examinés et recommande au SEM d’améliorer la formation des agents de sécurité privés chargés de surveiller les requérants.
Passages à tabac, détention dans des containers métalliques, coups et contraintes empêchant la respiration, refus d’accès aux soins, provocations ou encore racisme: les mauvais traitements dénoncés étaient multiples, Amnesty International allant jusqu’à parler de torture dans certains cas, la plupart prenant place dans des «salles de réflexion» fermées, à l’abri des regards. Au-delà des dizaines de cas documentés, l’ONG pointait du doigt les défaillances structurelles des autorités. Suite à ces révélations, le SEM avait suspendu 14 agents de sécurité et ordonné une enquête.
Allégation de torture «injustifiée et fausse»
Dans son rapport, Niklaus Oberholzer a examiné sept cas dans lesquels l’usage disproportionné de la contrainte était suspecté par Amnesty International. Dans trois d’entre eux, il juge que les agents privés ont réagi de «manière disproportionnée et peutêtre même illicite» à une situation de conflit. Dans trois autres, l’usage de la contrainte était «proportionné et justifié» car elle répondait à la «grande propension à la violence» d’un requérant d’asile. A la lumière de ces éléments, Niklaus Oberholzer estime que l’allégation de torture est «injustifiée et fausse». A noter que six des sept cas font toutefois l’objet d’une enquête pénale.
Comment expliquer que des collaborateurs aient fait usage de la violence? «Ceci concerne trois cas uniquement», tempère Niklaus Oberholzer, soulignant qu’il a effectué une enquête administrative sur des situations précises, pas une analyse générale de la situation. Il rappelle également que le risque zéro n’existe pas. «Il y a 700 agents privés au SEM, on ne peut pas attendre d’eux qu’ils se comportent sans commettre de fautes 24h sur 24h durant toute leur carrière.» L’essentiel, à ses yeux, est de s’assurer que ces erreurs sont repérées et sanctionnées quand c’est nécessaire.
Des efforts restent néanmoins à produire pour éviter les dérapages. L’ancien juge préconise notamment de revoir et de renforcer la formation du personnel de sécurité privé. «Ces agents ont une formation de quelques heures seulement, les policiers, eux, passent deux ans à apprendre à gérer les conflits, on ne peut pas s’attendre au même résultat», estime-t-il. C’est pourquoi il émet aussi la possibilité, pour le SEM, de placer ses propres collaborateurs possédant une formation policière à des postes clés dans les centres fédéraux. Les agents de sécurité privés n’interviendraient alors que dans une position de soutien.
Est-ce à l’ordre du jour? «Le SEM va analyser les recommandations et les mettre en oeuvre dans la mesure du possible», répond la porte-parole Anne Césard, précisant que les changements organisationnels complexes ou législatifs requièrent, par nature, plus de temps pour être introduits. Enfin, Niklaus Oberholzer préconise de mettre en place un bureau indépendant chargé de recueillir les plaintes des requérants. Une mesure que le SEM affirme avoir déjà lancée. Depuis l’entrée en vigueur de la nouvelle loi sur l’asile en mars 2019, le SEM a enregistré un total de 3742 incidents. La police est intervenue dans 791 cas (21%).
Protection des lanceurs d’alerte
Si elle salue ces recommandations, Amnesty International exige des mesures plus ambitieuses pour mieux protéger les requérants d’asile. Sur le fond, l’ONG maintient ses accusations de violences à caractère structurel, qui dans les cas les plus graves pourraient être assimilées à de la torture, comme celui où un requérant mineur, frappé à la tête à plusieurs reprises, a perdu connaissance. «Il faut désormais garantir que la violence dans les centres fédéraux d’asile est prévenue et les abus sanctionnés», a déclaré Alexandra Karle, directrice d’Amnesty Suisse, soulignant que mandater des sociétés de sécurité privées ne décharge pas les autorités de leur responsabilité.
Pour Amnesty International, d’importants changements dans le contrôle et l’exploitation des centres fédéraux d’asile sont nécessaires. Parmi les améliorations exigées: une meilleure protection des lanceurs d’alerte. «Aujourd’hui, il existe un système de dénonciation mais celui-ci reste peu utilisé et peu connu, estime Michael Ineichen, chargé du plaidoyer au sein de l’ONG. Les collaborateurs ont peur de perdre leur emploi s’ils dénoncent un collègue.» De concert avec le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés et l’Organisation suisse d’aide aux réfugiés, Amnesty International appelle enfin à la mise en place rapide d’un organe indépendant de traitement des plaintes qui permette d’identifier et de sanctionner les responsables. ■
«Ces agents ont une formation de quelques heures, les policiers, eux, passent deux ans à apprendre à gérer les conflits» NIKLAUS OBERHOLZER