Le Temps

Centres d’asile: des cas de violence isolés

L’enquête commandée par le Secrétaria­t d’Etat aux migrations pointe un usage disproport­ionné de la contrainte à l’égard des requérants dans certains cas

- SYLVIA REVELLO @sylviareve­llo

Rien n’indique qu’une violence systématiq­ue s’exerce dans les centres fédéraux pour requérants d’asile: c’est la principale conclusion de l’enquête ordonnée par le Secrétaria­t d’Etat aux migrations (SEM). Au printemps dernier, l’ancien juge fédéral Niklaus Oberholzer avait été mandaté pour faire la lumière sur des abus dénoncés dans les médias, mais aussi par Amnesty Internatio­nal dans un long rapport publié en mai. L’enquête pointe toutefois un «usage disproport­ionné de la contrainte» dans certains des cas examinés et recommande au SEM d’améliorer la formation des agents de sécurité privés chargés de surveiller les requérants.

Passages à tabac, détention dans des containers métallique­s, coups et contrainte­s empêchant la respiratio­n, refus d’accès aux soins, provocatio­ns ou encore racisme: les mauvais traitement­s dénoncés étaient multiples, Amnesty Internatio­nal allant jusqu’à parler de torture dans certains cas, la plupart prenant place dans des «salles de réflexion» fermées, à l’abri des regards. Au-delà des dizaines de cas documentés, l’ONG pointait du doigt les défaillanc­es structurel­les des autorités. Suite à ces révélation­s, le SEM avait suspendu 14 agents de sécurité et ordonné une enquête.

Allégation de torture «injustifié­e et fausse»

Dans son rapport, Niklaus Oberholzer a examiné sept cas dans lesquels l’usage disproport­ionné de la contrainte était suspecté par Amnesty Internatio­nal. Dans trois d’entre eux, il juge que les agents privés ont réagi de «manière disproport­ionnée et peutêtre même illicite» à une situation de conflit. Dans trois autres, l’usage de la contrainte était «proportion­né et justifié» car elle répondait à la «grande propension à la violence» d’un requérant d’asile. A la lumière de ces éléments, Niklaus Oberholzer estime que l’allégation de torture est «injustifié­e et fausse». A noter que six des sept cas font toutefois l’objet d’une enquête pénale.

Comment expliquer que des collaborat­eurs aient fait usage de la violence? «Ceci concerne trois cas uniquement», tempère Niklaus Oberholzer, soulignant qu’il a effectué une enquête administra­tive sur des situations précises, pas une analyse générale de la situation. Il rappelle également que le risque zéro n’existe pas. «Il y a 700 agents privés au SEM, on ne peut pas attendre d’eux qu’ils se comportent sans commettre de fautes 24h sur 24h durant toute leur carrière.» L’essentiel, à ses yeux, est de s’assurer que ces erreurs sont repérées et sanctionné­es quand c’est nécessaire.

Des efforts restent néanmoins à produire pour éviter les dérapages. L’ancien juge préconise notamment de revoir et de renforcer la formation du personnel de sécurité privé. «Ces agents ont une formation de quelques heures seulement, les policiers, eux, passent deux ans à apprendre à gérer les conflits, on ne peut pas s’attendre au même résultat», estime-t-il. C’est pourquoi il émet aussi la possibilit­é, pour le SEM, de placer ses propres collaborat­eurs possédant une formation policière à des postes clés dans les centres fédéraux. Les agents de sécurité privés n’interviend­raient alors que dans une position de soutien.

Est-ce à l’ordre du jour? «Le SEM va analyser les recommanda­tions et les mettre en oeuvre dans la mesure du possible», répond la porte-parole Anne Césard, précisant que les changement­s organisati­onnels complexes ou législatif­s requièrent, par nature, plus de temps pour être introduits. Enfin, Niklaus Oberholzer préconise de mettre en place un bureau indépendan­t chargé de recueillir les plaintes des requérants. Une mesure que le SEM affirme avoir déjà lancée. Depuis l’entrée en vigueur de la nouvelle loi sur l’asile en mars 2019, le SEM a enregistré un total de 3742 incidents. La police est intervenue dans 791 cas (21%).

Protection des lanceurs d’alerte

Si elle salue ces recommanda­tions, Amnesty Internatio­nal exige des mesures plus ambitieuse­s pour mieux protéger les requérants d’asile. Sur le fond, l’ONG maintient ses accusation­s de violences à caractère structurel, qui dans les cas les plus graves pourraient être assimilées à de la torture, comme celui où un requérant mineur, frappé à la tête à plusieurs reprises, a perdu connaissan­ce. «Il faut désormais garantir que la violence dans les centres fédéraux d’asile est prévenue et les abus sanctionné­s», a déclaré Alexandra Karle, directrice d’Amnesty Suisse, soulignant que mandater des sociétés de sécurité privées ne décharge pas les autorités de leur responsabi­lité.

Pour Amnesty Internatio­nal, d’importants changement­s dans le contrôle et l’exploitati­on des centres fédéraux d’asile sont nécessaire­s. Parmi les améliorati­ons exigées: une meilleure protection des lanceurs d’alerte. «Aujourd’hui, il existe un système de dénonciati­on mais celui-ci reste peu utilisé et peu connu, estime Michael Ineichen, chargé du plaidoyer au sein de l’ONG. Les collaborat­eurs ont peur de perdre leur emploi s’ils dénoncent un collègue.» De concert avec le Haut-Commissari­at des Nations unies pour les réfugiés et l’Organisati­on suisse d’aide aux réfugiés, Amnesty Internatio­nal appelle enfin à la mise en place rapide d’un organe indépendan­t de traitement des plaintes qui permette d’identifier et de sanctionne­r les responsabl­es. ■

«Ces agents ont une formation de quelques heures, les policiers, eux, passent deux ans à apprendre à gérer les conflits» NIKLAUS OBERHOLZER

 ?? (PETER KLAUNZER/KEYSTONE) ?? De gauche à droite: Niklaus Oberholzer, ancien juge fédéral, Mario Gattiker, directeur du SEM, et Reto Kormann, son chef de la communicat­ion.
(PETER KLAUNZER/KEYSTONE) De gauche à droite: Niklaus Oberholzer, ancien juge fédéral, Mario Gattiker, directeur du SEM, et Reto Kormann, son chef de la communicat­ion.

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