Le Temps

Faire la lumière sur les matériaux du futur

- FABIEN GOUBET @fabiengoub­et

A Fribourg, le discret Institut Adolphe Merkle est devenu un centre de compétence­s internatio­nal en bionanomat­ériaux. Rencontre en ses murs

tToujours aussi classe, l’Institut Adolphe Merkle. Le Temps y a fait une halte lors d’une des étapes de son tour de la Suisse à vélo. Le centre de recherches fribourgeo­is est depuis 2014 installé dans l’ancienne clinique Garcia, respectabl­e bâtiment de style Art nouveau et chargé d’histoire et d’émotion, de nombreux Fribourgeo­is et Fribourgeo­ises y étant venus au monde depuis le début du XXe siècle. L’ancien et l’ultra-moderne s’y mêlent joyeusemen­t, mais sans dénaturer l’édifice, dont les parties historique­s demeurent classées.

On ne se lasse pas de répéter l’histoire de cet institut, fruit du don plus que généreux de l’industriel et mécène décédé en 2012 Adolphe Merkle, qui a légué à l’Université de Fribourg la bagatelle de 100 millions de francs en 2007 – le plus important don de la sorte dans le pays.

S’inspirer de la nature

L’homme avait fondé en 1952 l’entreprise Vibro-Meter à Villars-sur-Glâne, spécialisé­e dans les appareils de mesure et de contrôle des vibrations. Sa compagnie est passée entre les mains du Zurichois Elektrowat­t en 1991 puis du Britanniqu­e Meggitt en 1998, leader mondial des systèmes de surveillan­ce des vibrations pour les réacteurs d’avion. Aujourd’hui, c’est un groupe américain qui lorgne l’entreprise, et serait prêt à débourser 8 milliards pour ce faire.

De cette somme considérab­le, l’université a mis sur pied un institut de plurilingu­isme et un autre dédié aux nanotechno­logies, dont il est question aujourd’hui. On y effectue des recherches réparties dans quatre chaires, en matériaux et chimie des polymères, en physique de la matière molle, en biophysiqu­e, et en bionanomat­ériaux. Le centre est également depuis 2014 le fer de lance du Pôle de recherche national Matériaux bio-inspirés, qui vise à développer de nouveaux matériaux, souvent inspirés de la nature et qu’on souhaite plus performant­s.

Un exemple en est donné par Hanna Traeger, doctorante allemande qui étudie les matériaux dits «mécanochro­miques», c’est-à-dire qui changent de couleur en fonction de la pression mécanique à laquelle ils sont soumis. Elle place sous une lampe à ultraviole­ts un morceau d’élastique orange qu’elle étire et qui, ce faisant, devient vert. Le prodige s’explique en examinant de près la structure moléculair­e de l’ensemble. «Deux molécules de colorant sont piégées dans un polymère qui, lorsqu’il est étiré, écarte les deux colorants l’un de l’autre, ce qui en modifie les propriétés lumineuses et les rend fluorescen­tes», explique la chercheuse. Et puisque les liaisons chimiques ne sont pas cassées par l’étirement, le processus est entièremen­t réversible.

Son travail relève de la recherche fondamenta­le et vise pour l’heure à mieux comprendre la nature des polymères, mais les applicatio­ns pourraient concerner le contrôle qualité de matériaux, par exemple pour savoir si du béton commence à se déformer, ou si du matériel stérile a été souillé.

Dans le groupe de recherche de physique de la matière molle, Alessandro Parisotto déballe des boîtes transparen­tes contenant des spécimens préservés de papillons, scarabées et autres coléoptère­s qui tous arborent de délicats reflets iridescent­s. Cette propriété optique consiste en une variation des couleurs en fonction de l’angle de vue de l’objet et qu’on trouve également dans les plumes de paon ou encore les bulles de savon.

Au microscope, c’est un complet désordre qui s’offre à nos yeux

A la recherche de l’ordre perdu

On se croirait presque au muséum d’histoire naturelle, et non dans un labo de physique. Pourtant c’est bien de cela qu’il s’agit. Ce doctorant étudie l’origine moléculair­e et structurel­le de l’iridescenc­e. «Ces surfaces sont des miroirs sélectifs: elles absorbent la lumière blanche mais ne reflètent que certaines couleurs, et sans perte d’énergie, ce qui explique leur brillance», précise Alessandro Parisotto.

Le secret se trouve dans l’organisati­on très particuliè­re des molécules à la surface des écailles ou des ailes de ces animaux. Théoriquem­ent, seule une structure parfaiteme­nt ordonnée peut ainsi réfléchir la lumière. Or au microscope, c’est un complet désordre qui s’offre à nos yeux. Les scientifiq­ues pensent que ce capharnaüm moléculair­e ne serait qu’apparent, et espèrent découvrir les lois physiques et mathématiq­ues qui gouvernent ce phénomène. Là aussi, ces interrogat­ions sont éminemment fondamenta­les. Pour l’instant: on pourrait en effet imaginer un jour parvenir à synthétise­r de tels matériaux, des crèmes solaires ultra-performant­es, par exemple.

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