«En Suisse, le travail a une dimension sacrée et les départs peuvent être tabous
Vit-on aujourd’hui une vague de démissions en Suisse, qui passe encore inaperçue? Ou doit-on s’attendre dans un futur proche à des départs en masse des entreprises, comme c’est le cas aux Etats-Unis? Aucun chiffre à ce jour ne permet de l’affirmer. Mais Catherine Vasey, psychologue et spécialiste du burn-out, observe de son côté une tendance à la remise en question de la place du travail dans nos vies. Qui va dans certains cas jusqu’à la démission.
Nous n’avons pas encore les chiffres 2021 en matière de démissions pour la Suisse. Observez-vous cependant cette tendance en consultation et auprès des entreprises?
Oui. Je rencontre beaucoup de personnes qui s’interrogent profondément sur leur travail et un certain nombre d’entre elles donnent par la suite leur démission. Parce qu’elles sont parfois passées par un burnout, mais ce n’est pas la seule raison: elles aspirent à une autre qualité de vie. Il y a eu, avec le semi-confinement et la crise, une prise de conscience de ce qui était essentiel dans nos existences et de ce qui nous manquait. Notre rythme quotidien a été bouleversé, ce qui nous a fait remettre en question la place du travail dans nos vies et prendre la mesure du temps qu’on y passe. Nous avons été amenés à nous poser cette question: si ce qu’on fait professionnellement n’est pas en accord avec nos valeurs et nos aspirations, à quoi bon?
En général, ces questionnements de sens surviennent plutôt chez des profils de cadres de
40 à 50 ans, qui ont un bon statut et un bon salaire mais ne sont pas pour autant satisfaits. Et ces interrogations sont aussi celles des jeunes générations, qui veulent bien sûr travailler, mais pas uniquement. Or le coronavirus a provoqué une remise en question chez des profils plus divers.
Quels sont justement les profils de ces «démissionnaires» que vous rencontrez?
Ce sont d’abord des personnes qui ont des réserves financières et qui sont confiantes quant à la perspective de retrouver du travail ailleurs. Elles ont aussi une forte envie de s’épanouir dans leur travail et ne l’envisagent pas uniquement comme un moyen d’obtenir un salaire. La démission étant toujours une prise de risque, le coronavirus a été pour beaucoup un moteur pour s’en donner le courage. D’autant que certains se sont sentis maltraités pendant cette crise: ils ont eu à s’adapter très rapidement à la situation et ont beaucoup donné. Mais leurs objectifs n’ont pas été revus en fonction du contexte de crise et ils ne se sentent aujourd’hui pas écoutés lorsqu’ils font part de certains besoins. Pour certains, c’est irrecevable et cela les pousse à partir. Leur départ risque d’avoir d’importantes répercussions sur les entreprises, parce que, bien souvent, ce sont les bons éléments qui démissionnent.
Aux Etats-Unis et en France, des jeunes se filment en train de démissionner sur le réseau social TikTok, en affichant une certaine fierté. Pourquoi pas en Suisse?
En Suisse, nous sommes plus discrets, c’est dans notre culture. Le travail a aussi une dimension sacrée et les démissions peuvent être taboues: les dirigeants ne veulent pas que l’on sache que leur entreprise fait face à des départs massifs, ce n’est pas attractif pour de futurs candidats. Cela ne veut pas dire qu’il n’y a pas de démissions, même si à ce stade, sans chiffres, nous ne pouvons faire que des hypothèses. Mais elles sont en tout cas plus discrètes.
PSYCHOLOGUE
«Avant la pandémie, ces questionnements de sens survenaient plutôt chez des profils de cadres de 40 à 50 ans»
Avant d’envisager une démission, il peut y avoir d’importantes souffrances au travail. Constatez-vous depuis le début de la pandémie une augmentation de ces souffrances et des burn-out?
Oui. Les répercussions de ce qui s’est passé au début de la crise arrivent maintenant, parce que les entreprises ont souvent pris beaucoup de retard dans un premier temps, que les employés doivent rattraper depuis. Cela engendre beaucoup de stress. Or le burn-out survient après plusieurs mois, voire une année de stress chronique. On peut dire aujourd’hui qu’il y a un nombre plus important de personnes désabusées par le travail.
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