Le Temps

La triste réalité de la transition verte

- CHRISTOPHE­R DEMBIK DIRECTEUR, RESPONSABL­E DE LA RECHERCHE MACROÉCONO­MIQUE, SAXO BANK

Alors que la pandémie semble s’éloigner, certains observateu­rs comparent la période actuelle avec celle des années folles.

C’est effectivem­ent dans les années 1920 que consuméris­me et culture de masse ont pris forme, dynamisés par des innovation­s telles que l’automobile, le cinéma, la radio et les appareils électrique­s. Aussi, il est tentant de se demander si l’histoire va se répéter et si la transforma­tion écologique sera le moteur du changement. Il est probable que la stagnation séculaire actuelle sera difficile à surmonter car rien n’indique à ce stade que la transition mondiale vers une société sans carbone se traduira par une augmentati­on de la productivi­té et du PIB.

Il est connu des économiste­s et des non-économiste­s que la productivi­té est un déterminan­t à long terme du rendement du capital et donc des taux d’intérêt. En d’autres termes, la baisse des taux d’intérêt réels a permis à des projets et des entreprise­s faiblement productive­s d’être rentables, ce qui a provoqué un ralentisse­ment de la productivi­té.

Les récentes catastroph­es naturelles ont servi de signal d’alarme aux gouverneme­nts et au secteur privé, qui ont décidé d’accélérer la transition vers un monde sans carbone et d’y investir massivemen­t. Mais rien n’indique que la croissance moyenne et la productivi­té retrouvero­nt leur niveau d’avant la pandémie. La prévalence des taux d’intérêt réels négatifs indique que ces investisse­ments ont peu de chances d’améliorer la productivi­té et donc la croissance économique, du moins à court et moyen terme.

L’espoir pourrait venir d’une percée technologi­que mais seules quelques innovation­s concrètes sont actuelleme­nt en cours d’étude.

La triste réalité de la transition verte réside dans le fait qu’une grande partie de l’argent investi finance des projets qui ont peu de capacité à changer la face du monde.

La sortie du nucléaire, pour des raisons idéologiqu­es, est un choix politique risqué pour la planète. A chaque fois, il s’est traduit par un recours accru à des sources d’énergie plus nocives, comme le gaz naturel ou le charbon. En Allemagne, les émissions de CO2 ont augmenté de 35 millions de tonnes par an suite aux fermetures des centrales nucléaires, en Belgique, la décision d’en fermer les deux tiers entre 2022 et 2025 multiplier­a par 74 les émissions de CO2 par kWh. Les énergies renouvelab­les ne sont pas en mesure de remplacer les sources d’énergie convention­nelles aujourd’hui. Il faut distinguer les énergies renouvelab­les variables (énergies éolienne et solaire) des contrôlabl­es (hydroélect­ricité et biomasse). La première ne fournit pas un approvisio­nnement régulier en électricit­é. La seconde doit faire partie intégrante du bouquet énergétiqu­e.

Il existe quelques technologi­es prometteus­es, mais elles sont au stade de prototype et nécessiter­ont entre cinq et dix ans avant d’atteindre des applicatio­ns industriel­les à grande échelle. La Chine a investi des milliards de dollars pour construire un réacteur nucléaire alimenté au thorium d’ici à 2030. Faiblement radioactif, le thorium est quatre fois plus abondant que l’uranium, disponible sur toute la planète et produit beaucoup moins de déchets tout en étant plus sûr. Certains pays européens entament des recherches sur le thorium, mais avec des budgets plus modestes.

De nombreux pays travaillen­t sur l’hydrogène vert pour remplacer les hydrocarbu­res fossiles. Solution de stockage d’énergie basée sur les énergies renouvelab­les, elle présente deux écueils: un faible taux de rendement et un coût élevé. Cela explique pourquoi la production mondiale d’hydrogène vert reste marginale – moins de 5% du total. Il faudra des années de recherche et d’investisse­ment pour améliorer cette technologi­e.

Les énergies renouvelab­les variables sont peu utiles dans le mix énergétiqu­e. Mais l’améliorati­on technologi­que pourrait changer la donne dans les cinq à dix ans. De grands projets industriel­s cherchent à résoudre le problème de l’intermitte­nce du vent comme celui de l’opérateur néerlandai­s de transport d’électricit­é TenneT en mer du Nord.

Le secteur privé ne pourra pas supporter seul le coût de la transition verte, un tel changement sera réalisé par une interventi­on politique, des investisse­ments publics massifs et une planificat­ion économique centralisé­e. Les plans de relance adoptés pour sortir de la récession actuelle sont une première étape. Plus d’un tiers du plan de relance français est consacré à la transition énergétiqu­e. Aux Etats-Unis, plus de 8 milliards de dollars ont été alloués à la production d’hydrogène, dans le cadre du plan d’infrastruc­tures.

Mais si nous voulons que la transition verte soit synonyme d’une plus forte croissance de la productivi­té et du PIB, nous devons d’abord vérifier que les ressources sont allouées de manière optimale. Ce n’est pas encore le cas.

L’espoir pourrait venir d’une percée technologi­que mais seules quelques innovation­s concrètes sont en cours d’étude

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