Assurance perte de gain maladie: un marché bloqué
La pandémie a aggravé une situation déjà grippée. Les primes sont en hausse et le changement d’assurance devient de plus en plus difficile. Le courtier Swiss Risk & Care dénonce les effets d’une convention entre membres de l’Association suisse d’assurance
La pandémie produit des effets indirects insoupçonnés. «Elle rend insupportable une situation jusqu’ici désagréable mais acceptée par la branche parce qu’elle appartenait aux coutumes. Le marché de l’assurance perte de gain maladie (PGM) est «grippé», a déclaré vendredi au Temps Yvan Roux, directeur de l’unité d’affaires entreprises du courtier Swiss Risk & Care, un courtier en assurance avec 170 collaborateurs.
Une entreprise qui souscrit une assurance PGM peut très difficilement changer de prestataire. Lors d’un appel d’offres, la prime de l’assureur outsider est presque systématiquement supérieure à celle du tenant.
Une branche majeure
L’assurance perte de gain en cas de maladie, sans être obligatoire, est un maillon essentiel du système social suisse. Contre une prime de quelques pour cent, prélevée sur les salaires à parts égales entre l’employé et l’employeur, elle protège les deux parties contre les conséquences financières d’une absence maladie pouvant durer jusqu’à deux ans.
L’assurance perte de gain maladie est pratiquée par l’ensemble du marché des assureurs privés. On y retrouve les grands assureurs généralistes comme les assureurs de personnes.
«Le niveau général des primes est en forte hausse depuis quelques années et cette tendance s’est encore accentuée cette année», estime Yvan Roux. «Il n’est pas rare de voir des augmentations de plusieurs dizaines de pour cent et nous observons même des situations en centaines de pour cent», ajoute-t-il.
Plusieurs raisons principales contribuent à la hausse des primes et au blocage du système, selon Yvan Roux.
Le contexte économique et social dans lequel nous vivons (pression, environnement professionnel complexe, place dans la société…) se traduit par une augmentation de l’absentéisme lié à des maladies psychiques. Le nombre de cas ainsi que la durée des absences engendrent des coûts supplémentaires avec des durées d’indemnisations plus longues, donc plus chères.
Historiquement déficitaire
Le Covid-19 a rendu les compagnies d’assurances plus prudentes en raison des incertitudes qui entourent la pandémie. Les questions liées à la potentielle multiplication des maladies de courte durée ou des covid longs les ont amenées à constituer des réserves et les primes ont donc eu tendance à s’accroître.
La Finma (Autorité de surveillance des marchés financiers) a exigé que chaque branche d’activité pratiquée par les assureurs soit rentable pour elle-même. La branche PGM étant historiquement déficitaire, cette directive a renchéri les primes PGM, selon Swiss Risk & Care.
La libre concurrence est faussée par une convention entre assurances, dite de libre passage, inconnue du grand public. Aujourd’hui, avec la dégradation des conditions contractuelles, les entreprises sont tentées de changer d’assurance. Mais ce désir bute sur un obstacle majeur. Quand un nouvel assureur souhaite reprendre un contrat à l’un de ses concurrents, il doit poursuivre le versement des indemnités journalières pour les maladies en cours, en lieu et place de l’ancien assureur.
«Le nouvel assureur doit donc provisionner ces cas pour pouvoir prendre le relais des indemnisations, ce qui lui génère automatiquement une perte d’entrée. A l’inverse, l’ancien assureur annule les provisions, ce qui lui confère un gain de sortie. On comprend mieux ainsi que tout challenger de l’ancien assureur part avec un handicap puisque les réserves constituées pour indemniser les cas en cours ne sont pas transférées au nouvel assureur», déclare Yvan Roux.
«Je suis dans le métier depuis vingt-cinq ans. Cette convention a toujours existé et m’a toujours paru choquante. Je la dénonce aujourd’hui, car elle entrave le bon fonctionnement du marché. De plus le souscripteur n’assume pas le risque jusqu’à son terme», ajoute-t-il.
Cette situation n’existe que dans la PGM. Pour l’assurance accident (LAA), c’est l’ancien assureur qui indemnise le sinistre jusqu’à sa clôture. Dans la prévoyance professionnelle (LPP), un changement de caisse de pension entraîne un transfert des provisions constituées pour le cas en cours.
Interrogée, l’Association suisse d’assurances (ASA) se défend et estime que le système profite aux assurés. En substance, la convention existe depuis 2006. Elle est présente sur le site de l’ASA. Elle est connue, notamment de la part de la Commission de la concurrence. Elle a fait ses preuves et «il n’est pas prévu de la réviser», indique Dominik Gresch, responsable de l’assurance maladie et accidents à l’ASA. Dès la date du changement d’assureur, les sinistres sont repris par le repreneur du contrat. «On évite ainsi les conflits de compétence.»
Le nouvel assureur ne reprend pas un cas de sinistre mais l’ensemble des assurés en incapacité de travail. «Sans cette règle, on risque d’assister à un processus de sélection des risques», selon Dominik Gresch. Ce mécanisme garantit le principe de solidarité qui est à la base du contrat d’assurance. Le faible nombre de litiges juridiques montre d’ailleurs, à son avis, que le système fonctionne. L’ASA indique ne pas avoir eu connaissance, à ce jour, de cas de limitation de concurrence. «Les primes sont d’ailleurs fortement sous pression dans l’assurance maladie collective», révèle Dominik Gresch.
Quand un nouvel assureur souhaite reprendre un contrat à l’un de ses concurrents, il doit poursuivre le versement des indemnités journalières pour les maladies en cours