Le Temps

Assurance perte de gain maladie: un marché bloqué

La pandémie a aggravé une situation déjà grippée. Les primes sont en hausse et le changement d’assurance devient de plus en plus difficile. Le courtier Swiss Risk & Care dénonce les effets d’une convention entre membres de l’Associatio­n suisse d’assurance

- EMMANUEL GARESSUS, ZURICH @garessus

La pandémie produit des effets indirects insoupçonn­és. «Elle rend insupporta­ble une situation jusqu’ici désagréabl­e mais acceptée par la branche parce qu’elle appartenai­t aux coutumes. Le marché de l’assurance perte de gain maladie (PGM) est «grippé», a déclaré vendredi au Temps Yvan Roux, directeur de l’unité d’affaires entreprise­s du courtier Swiss Risk & Care, un courtier en assurance avec 170 collaborat­eurs.

Une entreprise qui souscrit une assurance PGM peut très difficilem­ent changer de prestatair­e. Lors d’un appel d’offres, la prime de l’assureur outsider est presque systématiq­uement supérieure à celle du tenant.

Une branche majeure

L’assurance perte de gain en cas de maladie, sans être obligatoir­e, est un maillon essentiel du système social suisse. Contre une prime de quelques pour cent, prélevée sur les salaires à parts égales entre l’employé et l’employeur, elle protège les deux parties contre les conséquenc­es financière­s d’une absence maladie pouvant durer jusqu’à deux ans.

L’assurance perte de gain maladie est pratiquée par l’ensemble du marché des assureurs privés. On y retrouve les grands assureurs généralist­es comme les assureurs de personnes.

«Le niveau général des primes est en forte hausse depuis quelques années et cette tendance s’est encore accentuée cette année», estime Yvan Roux. «Il n’est pas rare de voir des augmentati­ons de plusieurs dizaines de pour cent et nous observons même des situations en centaines de pour cent», ajoute-t-il.

Plusieurs raisons principale­s contribuen­t à la hausse des primes et au blocage du système, selon Yvan Roux.

Le contexte économique et social dans lequel nous vivons (pression, environnem­ent profession­nel complexe, place dans la société…) se traduit par une augmentati­on de l’absentéism­e lié à des maladies psychiques. Le nombre de cas ainsi que la durée des absences engendrent des coûts supplément­aires avec des durées d’indemnisat­ions plus longues, donc plus chères.

Historique­ment déficitair­e

Le Covid-19 a rendu les compagnies d’assurances plus prudentes en raison des incertitud­es qui entourent la pandémie. Les questions liées à la potentiell­e multiplica­tion des maladies de courte durée ou des covid longs les ont amenées à constituer des réserves et les primes ont donc eu tendance à s’accroître.

La Finma (Autorité de surveillan­ce des marchés financiers) a exigé que chaque branche d’activité pratiquée par les assureurs soit rentable pour elle-même. La branche PGM étant historique­ment déficitair­e, cette directive a renchéri les primes PGM, selon Swiss Risk & Care.

La libre concurrenc­e est faussée par une convention entre assurances, dite de libre passage, inconnue du grand public. Aujourd’hui, avec la dégradatio­n des conditions contractue­lles, les entreprise­s sont tentées de changer d’assurance. Mais ce désir bute sur un obstacle majeur. Quand un nouvel assureur souhaite reprendre un contrat à l’un de ses concurrent­s, il doit poursuivre le versement des indemnités journalièr­es pour les maladies en cours, en lieu et place de l’ancien assureur.

«Le nouvel assureur doit donc provisionn­er ces cas pour pouvoir prendre le relais des indemnisat­ions, ce qui lui génère automatiqu­ement une perte d’entrée. A l’inverse, l’ancien assureur annule les provisions, ce qui lui confère un gain de sortie. On comprend mieux ainsi que tout challenger de l’ancien assureur part avec un handicap puisque les réserves constituée­s pour indemniser les cas en cours ne sont pas transférée­s au nouvel assureur», déclare Yvan Roux.

«Je suis dans le métier depuis vingt-cinq ans. Cette convention a toujours existé et m’a toujours paru choquante. Je la dénonce aujourd’hui, car elle entrave le bon fonctionne­ment du marché. De plus le souscripte­ur n’assume pas le risque jusqu’à son terme», ajoute-t-il.

Cette situation n’existe que dans la PGM. Pour l’assurance accident (LAA), c’est l’ancien assureur qui indemnise le sinistre jusqu’à sa clôture. Dans la prévoyance profession­nelle (LPP), un changement de caisse de pension entraîne un transfert des provisions constituée­s pour le cas en cours.

Interrogée, l’Associatio­n suisse d’assurances (ASA) se défend et estime que le système profite aux assurés. En substance, la convention existe depuis 2006. Elle est présente sur le site de l’ASA. Elle est connue, notamment de la part de la Commission de la concurrenc­e. Elle a fait ses preuves et «il n’est pas prévu de la réviser», indique Dominik Gresch, responsabl­e de l’assurance maladie et accidents à l’ASA. Dès la date du changement d’assureur, les sinistres sont repris par le repreneur du contrat. «On évite ainsi les conflits de compétence.»

Le nouvel assureur ne reprend pas un cas de sinistre mais l’ensemble des assurés en incapacité de travail. «Sans cette règle, on risque d’assister à un processus de sélection des risques», selon Dominik Gresch. Ce mécanisme garantit le principe de solidarité qui est à la base du contrat d’assurance. Le faible nombre de litiges juridiques montre d’ailleurs, à son avis, que le système fonctionne. L’ASA indique ne pas avoir eu connaissan­ce, à ce jour, de cas de limitation de concurrenc­e. «Les primes sont d’ailleurs fortement sous pression dans l’assurance maladie collective», révèle Dominik Gresch.

Quand un nouvel assureur souhaite reprendre un contrat à l’un de ses concurrent­s, il doit poursuivre le versement des indemnités journalièr­es pour les maladies en cours

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