Netflix étrillée pour transphobie
STREAMING Mis en ligne début octobre, le spectacle de l’humoriste américain Dave Chappelle, accusé d’attaquer les minorités LGBTIQ+, a plongé la plateforme dans une crise inédite. Inévitable à l’heure des débats sur la «cancel culture»?
«Dans notre pays, on peut tirer sur un Noir et le tuer mais attention à ne pas froisser les sentiments d'un gay.» Cette phrase, on la doit à l'acteur et humoriste noir américain Dave Chappelle dans son nouveau spectacle The Closer mis en ligne le 5 octobre sur Netflix. Une captation d'une heure de stand-up qui a mis, en quelques jours, le feu aux poudres du géant rouge.
Connu pour son humour noir, Dave Chappelle, 48 ans, avait déjà créé la controverse pour son discours envers la communauté LGBTIQ+. Bis repetita: l'humoriste enchaîne les références à la communauté transgenre – «le genre est un fait», «les personnes trans inventent des mots pour gagner des débats» – des propos «tournant en ridicule les personnes trans et d'autres communautés marginalisées» a notamment dénoncé l'association GLAAD (Gay & Lesbian Alliance Against Defamation).
Des secousses qui se sont fait sentir jusqu'en interne. Trois employés ont été suspendus pour avoir tenté d'infiltrer une réunion réservée aux cadres en protestation contre la mise en ligne de The
Closer. Le co-PDG de Netflix Ted Sarandos a toutefois refusé de retirer le spectacle de la plateforme. «Nous n'autorisons aucun titre sur Netflix conçu pour inciter à la haine ou à la violence, et nous n'estimons pas que The Closer ait franchi cette ligne», affirme-t-il dans une communication interne. Pas suffisant pour apaiser certains salariés, bien décidés à faire grève ce mercredi.
Où s'arrête la liberté d'expression, où commencent l'acharnement et la haine? Inhérent au monde de l'humour, le débat semble plus brûlant que jamais à l'ère de la cancel culture. Rien d'étonnant donc à ce qu'il éclabousse les mastodontes du streaming. Pourtant, s'agissant de Netflix, on est en droit d'être surpris: l'entreprise a traditionnellement fait de l'inclusion des minorités son cheval de bataille.
Du côté de la satire
Orange is the new black (2013), Sense8 (2015), Sex Education (2019)… avec leurs personnages principaux aux ethnicités, genres et sexualités divers, ces productions Netflix se sont positionnées au fil des ans en pionnières de la diversité à l'écran. Une politique appliquée au coeur de la machine Netflix puisque le personnel de toute nouvelle production doit suivre une formation visant à prévenir le harcèlement, les discriminations et promouvoir la diversité. Et la plateforme met les moyens: au début de l'année, Netflix annonçait la création d'un fonds de 100 millions de dollars pour renforcer l'«équité créative».
Valeurs d'entreprise ou stratégie marketing visant à séduire un public jeune et urbain? Toujours est-il que le groupe a jusque-là tenu fermement sa barre comme lorsqu'il annulait, l'an dernier, la production d'une série en Turquie suite aux demandes du pays d'évincer le personnage gay du scénario. Une ligne claire qui explique l'ampleur prise par l'affaire Chappelle: pour la première fois, dans cette pesée délicate, Netflix s'est ouvertement positionné du côté de la satire – et du spectacle d'une célébrité qui lui aura coûté quelque 24 millions à l'achat. Parce que TheCloser «n'aura pas de répercussions dans le monde réel», a encore argumenté Ted Sarandos. Pas sûr que cela suffise à calmer la polémique, qui a quelque peu entaché le dernier coup de maître de la plateforme, Squid Game.■