Le Temps

Les soins infirmiers valent bien une modificati­on constituti­onnelle

- ALBERTO MOCCHI SECRÉTAIRE GÉNÉRAL DE L’ASSOCIATIO­N VAUDOISE DES INFIRMIER-E-S

Le 28 novembre prochain, le peuple suisse sera amené à se prononcer entre autres sujets sur l’initiative populaire fédérale «Pour des soins infirmiers forts». Ce texte, lancé en 2017 par l’Associatio­n suisse des infirmière­s et infirmiers (ASI), demande très concrèteme­nt que les cantons et la Confédérat­ion veillent à ce que chacune et chacun ait accès à des soins infirmiers suffisants et de qualité, qu’ils forment suffisamme­nt d’infirmière­s et d’infirmiers, et que ces personnes puissent ensuite exercer leur profession avec une rémunérati­on et dans «des conditions de travail adaptées aux exigences auxquelles elles doivent répondre».

Probableme­nt un brin à court d’arguments contre ce qui semble être une évidence, les opposants ont notamment invoqué pour combattre l’initiative le fait qu’il serait dangereux et contre-productif d’inscrire des règles relatives à une profession dans la Constituti­on, et qu’on risquait ainsi d’ouvrir une «boîte de Pandore» menant à des demandes similaires de tous les corps de métier.

Il semble intéressan­t de répondre à cette critique en se penchant sur notre système politique, l’un des seuls au monde – avec quelques Etats américains – à connaître de manière si développée les votations populaires et référendum­s sur des sujets fort variés.

Depuis 1874 pour ce qui est des référendum­s et depuis 1891 pour ce qui est des initiative­s populaires, on peut en Suisse soutenir une idée ou au contraire la combattre en dehors de la sphère parlementa­ire. Ce système, né pour préserver les intérêts des minorités dans un pays marqué par les conflits confession­nels, permet à des groupes d’intérêt, associatio­ns ou partis politiques minoritair­es de faire des propositio­ns concrètes, et à la population de trancher sur ces dernières. Pour cela, on touche à la Constituti­on fédérale, car les initiative­s populaires ont pour mission de la modifier partiellem­ent. Un essai a certes été mené pour simplifier quelque peu ce système, avec l’initiative populaire dite «générale»: entre 2003 et 2010 100000 citoyennes et citoyens pouvaient réclamer une nouvelle législatio­n décrite en termes généraux, le parlement décidant ensuite s’il fallait modifier la Constituti­on ou agir au niveau de la loi. Ce système a cependant fait long feu, et jugé trop compliqué, il a été supprimé suite à une votation populaire.

Pour réclamer quelque chose que l’on n’arrive pas à obtenir via des majorités parlementa­ires, on doit ainsi passer par l’initiative populaire fédérale, et donc une modificati­on de la Constituti­on. C’est exactement ce processus qu’a suivi l’ASI. Les problèmes rencontrés par la profession infirmière et les solutions pour y remédier ont été portés à plusieurs reprises par des parlementa­ires, mais rejetés par une majorité des Chambres. Dernier exemple en date, l’initiative parlementa­ire du conseiller national UDC Rudolf Joder, intitulée «Accorder plus d’autonomie au personnel soignant» et rejetée par deux tiers des membres du Conseil national en 2016. C’est suite à cet échec, voyant la profession infirmière insuffisam­ment prise en considérat­ion, que l’ASI a décidé de lancer l’initiative «Pour des soins infirmiers forts». S’il avait été possible d’intervenir directemen­t sur des textes de loi, probableme­nt que c’est cette voie qui aurait été choisie. Or tel n’est pas le cas, et les soins infirmiers ne sont pas moins légitimes à figurer dans la Constituti­on que les minarets, la rémunérati­on des conseils d’administra­tion ou les OGM.

S’ils veulent vraiment éviter de voir des sujets particulie­rs inscrits dans la Constituti­on, les opposants à l’initiative «Pour des soins infirmiers forts» feraient mieux de s’attaquer directemen­t à notre système politique et demander par exemple l’applicatio­n d’initiative­s populaires législativ­es au niveau fédéral. Cela semble cependant peu probable au vu de leur propension à lancer des initiative­s sur toutes sortes de sujets quand cela les arrange…

Les soins infirmiers ne sont pas moins légitimes à figurer dans la Constituti­on que les minarets ou les OGM

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