Le Temps

Pandora Papers: rétablisso­ns les faits!

- PHILIPPE COTTIER BÂTONNIER DE L’ORDRE DES AVOCATS DE GENÈVE

Les Pandora Papers font actuelleme­nt rage dans l’actualité. Ces papers, comme d’autres avant eux, sont très certaineme­nt le fruit d’un vol massif de données et sont donc le produit d’un crime. Le projecteur est néanmoins braqué ailleurs et notamment sur les avocats, lesquels n’ont pas nécessaire­ment – c’est connu – une bonne image dans l’esprit du public, ni bonne presse non plus. Les amalgames et raccourcis, sinon les inexactitu­des sur la profession d’avocat que l’on peut lire, ici ou là, dans le contexte des Pandora Papers vont largement au-delà de l’acceptable et exigent une mise au point.

L’écrasante et immense majorité des avocats qui ne font qu’accompagne­r leurs clients en justice ou par devant les administra­tions ne sont tout simplement pas concernés par les Pandora Papers. Pourtant ceux qui relaient ou commentent cette actualité mettent à mal, sans discerneme­nt aucun, l’honorabili­té de toute la profession d’avocat et remettent en cause, sans discerneme­nt aucun, le secret profession­nel de l’avocat. Les avocats dont il est question dans les Pandora Papers seraient, à croire ce qu’on lit, au-dessus des lois ou à tout le moins profiterai­ent des lacunes de celles-ci pour prêter la main ou simplement prodiguer des conseils à leurs clients qui auraient l’intention ou seraient en train de commettre des infraction­s pénales. Il n’y a rien de plus faux.

Le Code pénal s’applique (comme à tout un chacun) aux avocats dont il est question dans les Pandora Papers. L’avocat ou l’avocate qui crée, gère ou administre des sociétés suisses ou étrangères, qu’elles soient opérationn­elles ou qu’il s’agisse de sociétés de domicile ou de trusts, qui organise leur dotation d’actifs, les achète ou les vend ou encore héberge ces sociétés ou trusts, se rend coupable de blanchimen­t d’argent s’il sait ou doit présumer qu’elles sont en lien avec une activité criminelle ou un délit fiscal qualifié. Une condamnati­on pour blanchimen­t d’argent aboutit à la radiation de l’avocat du registre des avocats et donc à la fin de sa carrière profession­nelle.

Les avocats dont il est question dans les Pandora Papers sont par ailleurs soumis à d’innombrabl­es règles de comporteme­nt et d’honorabili­té résultant notamment de la loi fédérale sur les avocats (LLCA) et du serment qu’ils prêtent par devant les autorités. La violation de ces règles peut également entraîner la radiation du registre des avocats. Les avocats dont il est question dans les Pandora Papers sont en outre soumis en plein à la loi fédérale sur le blanchimen­t (LBA) comme tout autre intermédia­ire financier. Il est tout simplement faux de dire qu’un avocat qui administre une société offshore n’est pas soumis à la LBA ou encore que ce même avocat n’a pas l’obligation de dénoncer son client au MROS à Berne, service spécialisé dans la lutte contre le blanchimen­t d’argent, en cas de soupçon fondé sur l’origine des fonds de son client ou sur l’arrière-plan économique d’une transactio­n à laquelle l’avocat prend part.

Il est également faux de dire que le lobby des avocats a empêché le parlement fédéral de voter en mars dernier une modificati­on de la LBA visant à soumettre à cette loi une partie de l’activité de conseil de l’avocat qui n’est pas considérée comme de l’intermédia­tion financière et de faire en sorte que l’avocat-conseil doive dénoncer son client en cas de soupçon fondé. En effet, ce projet de modificati­on de la LBA ne prévoyait pas cette obligation de dénonciati­on pour l’avocat-conseil. Si ce projet a été refusé par le parlement, c’est pour la simple et première raison qu’il était mal pensé, mal ficelé et n’allait absolument rien amener à la lutte contre le blanchimen­t ou la fraude fiscale. Ce projet de modificati­on de la LBA portait par ailleurs un gros coup de canif au secret profession­nel de l’avocat, qui couvre non seulement l’activité de représenta­tion des parties en justice mais également celle de conseil.

Cet état des choses n’est pas une vision de l’esprit du lobby des avocats mais résulte d’une jurisprude­nce constante du Tribunal fédéral, qui considère, à juste titre, le secret profession­nel de l’avocat – et de l’avocat-conseil n’en déplaise à certains – comme un fondement de l’Etat de droit qui a pour but de protéger l’accès à la justice et aux administra­tions. Le secret profession­nel de l’avocat est donc indispensa­ble au bon fonctionne­ment de notre société. L’Etat de droit perdra de sa force à chaque fois qu’il sera mis à mal.

Les avocats dont il est question dans les Pandora Papers sont soumis à d’innombrabl­es règles de comporteme­nt et d’honorabili­té

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