La Russie prend l’initiative dans le dossier afghan
Moscou organise aujourd'hui un sommet incluant, pour la première fois depuis leur prise de pouvoir, des représentants talibans. La rencontre signe la marginalisation définitive des Occidentaux
C'est un processus par cercles concentriques auquel est conditionné l'avenir de l'Afghanistan. Il y a d'abord eu un sommet extraordinaire du G7 le 24 août lors duquel les alliés des Etats-Unis n'ont pu que prendre acte du retrait définitif des forces américaines. Puis un sommet du G20 le 11 octobre s'est concentré sur l'aide humanitaire en incluant, aux côtés des Occidentaux, d'autres acteurs comme la Chine, l'Inde ou la Russie. Enfin, aujourd'hui, cette dernière tracera le dernier cercle au sein duquel elle espère voir le dossier afghan désormais traité.
Moscou a notamment convié Chinois, Indiens et Pakistanais, mais aussi les nouveaux maîtres du pays. La délégation talibane représentera un gouvernement qui, après la prise de Kaboul le 15 août, a très vite été rattrapé par l'immensité du défi. Selon le Programme alimentaire mondial (PAM), 95% des Afghans vivent sous le seuil de pauvreté et un million d'enfants de moins de 5 ans pourraient mourir de faim d'ici à la fin de l'année sans assistance extérieure.
Si la rencontre au «format Moscou» constitue un premier pas, l'Emirat islamique d'Afghanistan ne bénéficie pour l'heure d'aucune reconnaissance internationale. Pire, les réserves de la banque centrale afghane, évaluées à 10 milliards de dollars, demeurent en grande partie bloquées par les Américains et les Européens. Mais le plus grand défi tient à la recrudescence d'attaques menées par le groupe Etat islamique (EI) contre les forces talibanes, sapant la promesse de sécurité des nouveaux dirigeants.
Contenir l'EI, la priorité de Moscou
C'est avant tout cette menace qui pousse la Russie à prendre l'initiative de la conférence. Malgré des rapports historiquement difficiles avec les talibans, la priorité pour Moscou consiste à contenir l'EI à l'intérieur des frontières afghanes et d'éviter toute contagion dans les anciennes républiques soviétiques d'Asie centrale. «Le mal devient un bien quand on est confronté au pire», analyse dans la revue Orient XXI Maxim Suchkov, chercheur associé auprès du Middle East Institute (MEI) à Washington et chercheur titulaire au Moscow State Institute of International Relations (MGIMO-University). «Même si le mouvement [taliban, ndlr] fait l'objet de nombreuses critiques à Moscou, où bien peu voient ses bases idéologiques sous un jour favorable, la prise de décision en Russie s'appuie pour le moment sur l'idée qu'ils menacent moins la sécurité russe que ne le fait l'EI.»
Depuis que Joe Biden a entériné ce printemps le retrait américain négocié par son prédécesseur avec les talibans, la Russie poursuit ainsi deux approches avec ces derniers. D'une part, elle a ouvert le dialogue en recevant une délégation à Moscou en juillet et lui a fixé plusieurs «lignes rouges», selon Maxim Suchkov, comme le respect des frontières et des garanties de sécurité. D'autre part, et afin d'appuyer ses propos, elle a mené des exercices militaires conjoints avec le Tadjikistan et l'Ouzbékistan.
Les Etats-Unis, pourtant conviés à la réunion, s’en sont eux-mêmes exclus
Si le nouveau cercle dessiné aujourd'hui signale la marginalisation des Occidentaux, c'est enfin parce que les Etats-Unis, pourtant conviés à la réunion, s'en sont euxmêmes exclus, citant des «difficultés logistiques» pour y participer. L'annonce est tombée lundi, alors que Zalmay Khalilzad, l'émissaire américain qui avait négocié le retrait américain, annonçait sa démission sur un constat d'échec. Comme en écho au constat que l'analyste Dmitri Trenin, directeur du Centre Carnegie à Moscou, livre dans The Economist: «L'Afghanistan représente l'effondrement final de la croyance, née après la fin de la guerre froide, que les EtatsUnis étaient en position de refaire le monde à leur image.»
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