Le Temps

Départ d’un premier procureur très spécial

Après onze années de magistratu­re, Stéphane Grodecki quitte le Ministère public genevois pour rejoindre une étude de la place et faire du droit public. L’homme de confiance d’Olivier Jornot laissera un vide difficile à combler

- FATI MANSOUR @fatimansou­r STÉPHANE GRODECKI PREMIER PROCUREUR AU MINISTÈRE PUBLIC GENEVOIS

Le Ministère public genevois perd l’un de ses magistrats les plus coriaces. Le premier procureur Stéphane Grodecki, qui vient de requérir la semaine dernière au procès en appel de Pierre Maudet, a décidé de retourner au barreau. C’est un coup dur pour Olivier Jornot qui voit ainsi filer son juriste de référence, mais aussi son homme de confiance avec lequel il partageait les affaires dites sensibles. «C’est un départ qui va laisser un vide et qui ne sera pas facile à remplacer», reconnaît le patron du parquet.

La nouvelle de cette démission, annoncée ce lundi par courrier au Grand Conseil et révélée par le GHI, n’est pas une surprise totale. Stéphane Grodecki, 44 ans, socialiste, docteur en droit, entré dans la magistratu­re en 2010 comme juge d’instructio­n, avait déjà montré des velléités de départ ainsi qu’un goût certain pour l’enseigneme­nt et l’université. Il avait ainsi postulé, en 2019, à la succession du professeur de droit administra­tif Thierry Tanquerel. Sans succès. C’est encore la pratique du droit public qui l’attire désormais vers l’étude Merkt et associés, où oeuvre Me Romain Jordan avec lequel il a cosigné un ouvrage de procédure administra­tive genevoise.

Redoutable et intransige­ant

Au sein du parquet, Stéphane Grodecki avait une place un peu à part. En 2017, ce magistrat ambitieux est devenu premier procureur spécial, sorte d’adjoint chargé d’épauler le procureur général dans les procédures dites présidenti­elles afin de répartir le fardeau des affaires sensibles impliquant policiers, avocats ou encore personnali­tés politiques. Pour assumer cette tâche nouvelleme­nt créée, il a été déchargé de la direction de sa section générale et un cinquième premier procureur a été désigné pour compléter l’équipe.

Sur le terrain de l’audience, on a aussi pu voir Stéphane Grodecki requérir dans une série d’affaires aux enjeux importants: les malversati­ons au préjudice des Hôpitaux universita­ires de Genève, la corruption au sein des SIG, un arbitrage frauduleux sur fond de lutte pour le pouvoir koweïtien, la tentative de piratage attribuée à l’encaveur Dominique Giroud ou encore les excès antisémite­s de Dieudonné. Sans oublier le dossier le plus explosif du moment, dont il a assumé la direction: l’acceptatio­n d’avantages reprochée à Pierre Maudet et à son ancien chef de cabinet.

Ses qualités de technicien du droit ont toujours été louées par ses adversaire­s du prétoire. Dépeint comme compétent et redoutable, il a aussi la réputation d’être plutôt dur, n’hésitant pas à passer les menottes et à demander la mise en détention des prévenus qui défilent devant lui. Un ancien aumônier de prison qui avait fait le facteur pour des détenus, des prostituée­s transgenre­s qui avaient travaillé malgré l’interdicti­on liée aux mesures sanitaires ou encore, récemment, les artisans de faux certificat­s covid ont fait l’expérience de cette intransige­ance.

Besoin de changement

Pour Olivier Jornot, c’est une longue collaborat­ion qui prend fin: «J’ai pu m’appuyer sur lui, comme sur les autres premiers procureurs, pour faire mon travail au mieux. Stéphane Grodecki a des atouts dans tous les domaines. C’est un excellent juriste et un organisate­ur particuliè­rement efficace. Son départ est loin d’être anodin pour la juridictio­n.» Le procureur général devra désormais chercher un remplaçant parmi les magistrats les plus expériment­és du Ministère public, voire réfléchir à une réorganisa­tion.

Le principal intéressé évoque quant à lui un besoin de changement: «Après plusieurs années au Ministère public, j’ai eu l’envie et l’opportunit­é de refaire du droit public, domaine dans lequel j’ai rédigé ma thèse de doctorat et un commentair­e sur le droit de procédure. Je rejoins donc une étude d’avocats comme associé au 1er janvier 2022.» Un retour aux sources et peut-être une manière de s’affranchir de tout un univers. ■

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