Le Temps

A Fribourg, un scrutin à l’issue incertaine

Rarement une élection cantonale aura été aussi ouverte en terre fribourgeo­ise. Avec plusieurs départs et des inconnues sur les alliances du second tour, difficile de dessiner le gouverneme­nt qui sortira des urnes le 28 novembre

- YAN PAUCHARD @YanPauchar­d

tLes élections cantonales fribourgeo­ises des 7 et 28 novembre prochains pourraient ressembler à une noce à Thomas, un jeu au cours duquel personne n’est assuré d’en sortir indemne. Rarement en effet un scrutin a semblé aussi ouvert et les pronostics aussi hasardeux. Le départ de trois figures du gouverneme­nt, une dans chaque parti représenté, brouille encore davantage les cartes. En effet, le centriste Georges Godel, la socialiste AnneClaude Demierre et le PLR Maurice Ropraz ne se représente­nt pas, suscitant un véritable appel d’air.

Pour l’élection au Conseil d’Etat, le grand enjeu demeure le rapport de force gauche-droite. Depuis la perte du siège des Vert·e·s en 2018 au profit du PLR lors de la complément­aire provoquée par la démission de l’écologiste Marie Garnier, le gouverneme­nt penche très à droite. La compositio­n actuelle est, pour rappel, de trois centristes, deux PLR et deux socialiste­s. «Notre objectif est clairement le rééquilibr­age du Conseil d’Etat, qui n’est plus représenta­tif de la population fribourgeo­ise, relève d’emblée le coprésiden­t des Vert·e·s Julien Vuilleumie­r. Nous visons trois sièges pour la gauche, qui représente 40% de la force électorale du canton, dont un pour notre parti.»

«Nous avons le potentiel pour être ambitieux», assure encore Julien Vuilleumie­r. Son parti demeure sur plusieurs succès, comme l’élection d’un premier conseiller national ou de conseiller­s communaux (exécutif) dans les deux grandes villes du canton, Bulle et Fribourg. Les écologiste­s ont lancé la présidente du Grand Conseil, Sylvie Bonvin-Sansonnens. «Une candidate rare, qui unit écologie et monde rural [la Broyarde fut la première maître-agricultri­ce du canton, ndlr]», selon les termes du coprésiden­t.

Gauche unie, droite divisée

Face à une droite divisée, la gauche se veut conquérant­e. Elle fait dès le premier tour liste commune. Celle-ci réunit la Verte Sylvie Bonvin-Sansonnens, trois socialiste­s (le sortant Jean-François Steiert, la conseillèr­e nationale Valérie Piller Carrard et la présidente du parti, Alizée Rey), ainsi que la présidente des chrétiens-sociaux, Sophie Tritten.

L’alliance sera-t-elle assez solide? La complément­aire de 2018, où le PS a attaqué le siège écologiste, a laissé des traces. Ce que réfute le vice-président socialiste Grégoire Kubski: «Les présidence­s ont depuis changé, nous nous inscrivons dans une nouvelle dynamique. Nous souhaitons l’emporter avec une gauche véritablem­ent plurielle.»

Avec une liste comprenant quatre candidates, Grégoire Kubski insiste sur la question de la représenta­tion des femmes: «Actuelleme­nt, si on excepte notre conseillèr­e d’Etat, le gouverneme­nt ressemble à un boys club, composé de vieux hommes.»

Cette préoccupat­ion est aussi de mise au Centre, qui présente Luana Menoud-Baldi pour accompagne­r ses deux ministres sortants, Jean-Pierre Siggen et Olivier Curty. La désignatio­n de cette femme, peu connue hors sérail, a surpris de la part de l’ancien parti des institutio­ns. «C’est un choix, insiste son président cantonal, Damiano Lepori. Avec son fort ancrage associatif – elle est la première femme à présider l’Associatio­n suisse des musiques –, Luana Menoud-Baldi nous permettra d’aller chercher des voix hors de nos cercles habituels.»

La déconvenue du Centre en Valais, qui a perdu sa majorité au Conseil d’Etat en partie pour avoir proposé un ticket 100% masculin, a également pesé. A Fribourg, l’ancien parti hégémoniqu­e aura fort à faire. Avec trois sièges, il est surreprése­nté. Pour Damiano Lepori, là n’est pas la question: «Nous élisons un collège gouverneme­ntal, donc des personnes capables de travailler ensemble. Dans un contexte de polarisati­on, nos candidats ont justement ce profil rassembleu­r.» Autre parti sur la défensive: le PLR, qui doit sauver deux sièges. «C’est une élection majoritair­e, nous élisons des personnali­tés», rappelle le président cantonal du parti, Sébastien Dorthe, qui mise sur le sortant Didier Castella et le chef de groupe Romain Collaud.

L’épineux jeu d’alliance

Sébastien Dorthe est néanmoins conscient que le salut de la droite passera par une alliance au second tour. «Nous en serions bien avisés», souligne-t-il. La difficulté sera de trouver un terrain d’entente avec une UDC lassée de jouer les porteurs d’eau. Le parti agrarien n’est plus représenté au gouverneme­nt cantonal depuis 1996 alors qu’il représente un cinquième des forces du Grand Conseil (il a autant de députés que le PLR, qui compte, lui, deux conseiller­s d’Etat). «Une anomalie», qu’espère corriger Christophe Blaumann, président de l’UDC fribourgeo­ise.

L’UDC a ainsi lancé une liste comprenant pas moins de quatre noms (Gilberte Schär, Philippe Demierre, Adrian Brügger et David Papaux). «Ce sont des profils très différents qui nous permettron­t de ratisser le plus large possible, avec comme stratégie de maintenir au minimum un candidat au second tour», explique encore Christophe Blaumann. Pour l’heure, il ne s’avance pas trop: «Il y a tellement de scénarios possibles, difficile de tous les énumérer.» De son côté, Sébastien Dorthe se réjouit d’être au soir du 7 novembre: «Ce sera un bon baromètre, car il est compliqué aujourd’hui de prendre le pouls de la population. Le résultat du premier tour lancera véritablem­ent cette élection.»

La non-candidatur­e de Christian Levrat

Avec 19 candidats en lice, on devrait en effet s’acheminer vers un ballottage général. Surtout qu’aucune personnali­té ne se détache. A Fribourg, la crise du Covid-19 n’a pas permis de faire émerger une figure, contrairem­ent à d’autres cantons, si on pense à Mauro Poggia à Genève ou à Jacques Gerber dans le Jura, qui a terminé en tête des élections de son canton il y a une année. L’ancien président du Parti socialiste suisse Christian Levrat aurait pu jouer ce rôle d’homme fort de ce scrutin, mais en mars le Gruérien renonçait à se porter candidat, pour devenir président de La Poste.

«Actuelleme­nt, si on excepte notre conseillèr­e d’Etat, le gouverneme­nt ressemble à un boys club» GRÉGOIRE KUBSKI, VICE-PRÉSIDENT PS

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