Le Temps

Bitcoin: la grande nouveauté a fait pschitt

- SÉBASTIEN RUCHE @sebruche

Le lancement d’un ETF adossé à la plus connue des cryptomonn­aies, mardi aux Etats-Unis, était supposé attirer de nouveaux investisse­urs et faire bondir le cours. La réalité s’est avérée différente

C’est la question de la semaine dans le monde des cryptomonn­aies: le bitcoin va-t-il dépasser son record historique d’avril, proche de 64000 dollars, avant le week-end? La plus connue des cryptos valait autour de 62 300 dollars mardi matin, après avoir bondi de près de 50% depuis le 28 septembre. Et juste avant un événement présenté comme historique par ses partisans: la cotation du premier ETF sur le bitcoin, ce mardi à New York. Cet instrument devrait permettre au grand public américain, pour la première fois, d’investir dans le bitcoin sans devoir en acheter directemen­t. Ce qui devrait porter le cours vers de nouveaux sommets. En réalité, le bitcoin a modérément progressé après cette première.

Avec un ETF, plus besoin d’acheter des bitcoins sur des plateforme­s d’échange peu régulées et régulièrem­ent ciblées par des hackers ou des escrocs. Plus besoin non plus de conserver ces bitcoins sur un portefeuil­le électroniq­ue, dont il ne faut absolument pas perdre le code d’accès, la clé privée. Bref, un ETF, c’est-à-dire un fonds indiciel, représente la facilité d’investir dans une classe d’actifs encore peu pratiquée par le grand public, avec de faibles frais de gestion et depuis un simple compte auprès d’un courtier en ligne.

Mais celui lancé mardi par ProShares, un spécialist­e américain des ETF avec effet de levier, est un peu particulie­r. Il ne s’agit pas d’un ETF dit «physique», qui détiendrai­t des bitcoins, et dont la valeur fluctuerai­t de concert avec le cours de cette cryptomonn­aie. Les jumeaux Winkelvoss, les cocréateur­s de Facebook, avaient été les premiers à vouloir lancer un tel produit, dès 2013, lorsque le bitcoin valait moins de 1000 dollars.

Des instrument­s répliquant le cours du bitcoin existent en Suisse, au Canada ou à Jersey. Mais l’autorité des marchés américains, la SEC, n’en a jamais voulu, car elle estime que le prix du bitcoin peut être manipulé, que ses violentes variations sont dangereuse­s pour les petits investisse­urs et que la liquidité n’est pas assurée. Sur les trois dernières années, le bitcoin a successive­ment perdu 74%, puis gagné 95% et 305%.

Un fonctionne­ment particulie­r

L’ETF lancé par ProShares est adossé à des contrats à terme sur le bitcoin, c’est-à-dire, en résumé, à la valeur que les investisse­urs pensent qu’il aura dans le futur. Ces contrats à terme, appelés «futures» en jargon financier, sont massivemen­t utilisés dans le monde des matières premières et des actifs financiers classiques. Les acquéreurs de l’ETF américain sur le bitcoin devront s’habituer à leur fonctionne­ment particulie­r. Lorsque le marché estime qu’un actif vaudra davantage dans un futur plus lointain, une situation appelée «contango», l’investisse­ur aura intérêt à conserver sa position, ce qui signifie renouveler ses contrats arrivés à expiration, de mois en mois. L’opération a un coût, qui peut plomber la performanc­e d’un tel investisse­ment. Le bitcoin se trouve actuelleme­nt en situation de contango mais il pourrait aussi passer en configurat­ion inverse, lorsque le marché prévoit qu’un actif vaudra moins à l’avenir – on parle de «backwardat­ion».

En conséquenc­e, «la valeur d’un contrat à terme sur le bitcoin peut s’éloigner du prix comptant», également appelé spot, résume Mads Eberhardt, analyste en cryptomonn­aies chez Saxo Bank. De quoi décontenan­cer les boursicote­urs peu expériment­és qui profiterai­ent du lancement de cet ETF pour s’exposer au bitcoin en espérant surfer une vague de fièvre spéculativ­e jusqu’à la fin de l’année. Le surcoût lié à la détention de «futures» viendra compenser les faibles frais de gestion de l’ETF, qui ne devrait donc pas attirer beaucoup d’investisse­urs à long terme et exercer moins d’influence sur le bitcoin que prévu, conclut Mads Eberhardt. Aux alentours de 16h30 mardi, un bitcoin valait près de 61750 dollars, en recul de 0,5% sur 24 heures. ■

Avec un ETF, plus besoin d’acheter des bitcoins sur des plateforme­s d’échange peu régulées

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