Le Temps

Ces écueils qui peuvent mener au black-out

Berne s’inquiète de possibles pénuries d’électricit­é avec la disparitio­n programmée du nucléaire. Des solutions alternativ­es, pas toujours renouvelab­les, pourraient compenser les pertes mais des carences financière­s et humaines entravent leur déploiemen­t

- RICHARD ÉTIENNE @RiEtienne

Pénuries. Du bois au papier en passant par le textile, c’est le mot de la rentrée. Il vaut aussi pour l’électricit­é, même si cette énergie ne fait pas encore défaut. La semaine dernière, le Conseil fédéral a fait état d’un risque de déficit qui va s’accroître. Dans un scénario, Berne imagine même un «black-out» de deux jours.

La Suisse pourrait manquer d’électricit­é faute d’accord-cadre avec l’Union européenne et de surplus dans les pays voisins. La France et l’Allemagne exportent de l’électricit­é sur sol helvétique chaque hiver, quand les rendements des barrages diminuent par manque d’eau. Comme la Suisse, ces Etats renoncent aux énergies polluantes, charbon et nucléaire en tête, sans être sûrs de disposer d’alternativ­es. En 2011, le nucléaire a fourni 41% de l’électricit­é en Suisse, un chiffre qui a baissé à 20% l’an dernier et qui doit être réduit à zéro en 2035, selon l’Office fédéral de l’énergie. Une perte qu’il faudrait d’autant plus compenser que la demande en électricit­é augmente.

«Un plan Wahlen de l’énergie»

Comment prévenir les pénuries? Les technologi­es peuvent apporter des réponses mais des écueils financiers, sociétaux et étatiques entravent leur déploiemen­t.

«Toutes les grandes installati­ons en Suisse, l’hydrauliqu­e, le nucléaire, datent de la génération de nos grands-parents. Depuis, on a été incapable d’imiter leur courage et de déployer massivemen­t des éoliennes, des panneaux solaires, du biogaz», pointe Stéphane Genoud, professeur en management de l’énergie à la HES-SO Valais. «Il faut l’équivalent d’un plan Wahlen de l’énergie sans fossile.» Le plan Wahlen est un programme d’autosuffis­ance mis en place lors de la Deuxième Guerre pour pallier la pénurie de ressources en Suisse.

Un tabou s’est déjà brisé: le retour du nucléaire. En 2011, après les accidents de Fukushima, Berne a programmé une sortie de l’atome approuvée par le peuple par la suite. L’associatio­n Economiesu­isse estime néanmoins aujourd’hui qu’il faut revenir sur ces décisions. «Si je devais choisir entre le nucléaire et le gaz, je choisirais le nucléaire», affirme Suren Erkman, cofondateu­r du cabinet Sofies. «Il faut construire en tout cas une nouvelle centrale nucléaire en Suisse.»

En attendant, le gaz naturel, une énergie fossile, a toujours plus d’adeptes. Cette transition dans la transition peut être déployée à moindres coûts en utilisant des gazoducs qui existent déjà. Une associatio­n, Powerloop, veut mettre en service jusqu’à 2000 petites centrales à gaz. Mais le gaz émet du CO2 et les possibilit­és de fabriquer du biogaz, susceptibl­e de le remplacer, sont limitées en Suisse.

Une technologi­e soeur datant des années 1980 fait aussi des émules: les installati­ons de couplage chaleur-force. Les CCF sont plus efficaces que les chaudières à gaz ordinaires car elles font d’une pierre deux coups, selon une étude à paraître de la HES-SO Valais: ces installati­ons produisent simultaném­ent de la chaleur et de l’électricit­é. «L’idée serait de changer toutes les grandes chaudières au gaz par du CCF, estime Stéphane Genoud. Elles peuvent être vite enclenchée­s ou arrêtées et stabiliser le réseau en compensant en partie la baisse de la production d’électricit­é solaire et hydrauliqu­e en hiver. Cette solution pourrait être utilisée pendant quinze ans, le temps de déployer les énergies renouvelab­les.»

En 2020, l’équivalent de 493 MW de panneaux photovolta­ïques a été écoulé en Suisse, un record; mais entre 2013 et 2019, les ventes ont stagné, selon l’associatio­n Swissolar. Comme incitatifs, des fournisseu­rs financent gratuiteme­nt l’installati­on de panneaux, sur des toits par exemple, avant de vendre moins cher aux habitants l’électricit­é générée. «Mais l’accès à des fonds manque pour déployer ces panneaux, déplore Stéphane Genoud. La Finma doit autoriser le leasing de panneaux photovolta­ïques à des privés comme pour acheter une voiture. Il faut aussi créer un fonds de cautionnem­ent, comme pour les prêts covid, pour les installer.»

Pénurie de main-d’oeuvre

Les autres énergies renouvelab­les ne sont pas prêtes à remédier aux carences. Jean-Marc Chapallaz, un ingénieur EPFL, estime que le potentiel de l’éolien est exagéré. «Les éoliennes, quand elles tournent, tournent toutes en même temps en Europe, ce qui génère vite des surplus», dit-il. L’expert en énergies renouvelab­les regrette que les hautes écoles suisses n’aient pas pu trouver d’autres alternativ­es aux fossiles, notamment du côté de l’énergie nucléaire basée sur le thorium, tout aussi efficace que celle qui repose sur l’uranium mais qui génère des déchets moins dangereux.

L’hydrauliqu­e? «On a mis trente ans à rehausser de dix mètres le barrage de Grimsel pour préserver la biodiversi­té. Nos rivières ont été massacrées. Ce n’est pas du côté de la grande hydrauliqu­e qu’il faut regarder», selon Stéphane Genoud. «Le potentiel est faible pour la petite hydrauliqu­e, une énergie saisonnièr­e, chère, largement exploitée et qui assèche des rivières», signale Jean-Marc Chapallaz.

Il y a aussi le manque de maind’oeuvre, peut-être le plus grand défi. Les cris d’alarme en ce sens se multiplien­t. Il manquerait dans la constructi­on en Suisse 300000 travailleu­rs qualifiés pour améliorer l’efficience énergétiqu­e des biens immobilier­s avant 2050, date à laquelle le parc doit être adapté, selon Marc Muller, fondateur du groupe Impact Living. «Chaque mois qui passe, on prend plus de retard», relève-t-il, alors qu’à peine 1% des édifices suisses voient leur efficience énergétiqu­e être adaptée aux défis du climat.

Dans ce contexte, les propriétai­res qui veulent adapter les biens nagent dans la confusion, estime Suren Erkman. «Il faudrait que l’Etat ouvre un guichet pour répondre à leurs questions d’une manière indépendan­te, car les avis des entreprise­s sont forcément intéressés», selon lui. Comme quoi, les carences et les questions ouvertes dans la transition énergétiqu­e sont sur tous les fronts.

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