Edita Gruberova, l’adieu à la reine
C’est coiffée d’une toque scintillante, assortie à sa robe de soie mauve, qu’on la redécouvre dans un enregistrement de La Flûte enchantée de 1983, au Bayerische Staatsoper – et sans doute ainsi qu’on la gardera en mémoire: dans ses habits de Reine de la nuit. Edita Gruberova, soprano slovaque de 74 ans, est décédée lundi à Zurich, annonçait le lendemain un communiqué de l’agence allemande Hilbert Artists Management. Une révérence après un demi-siècle de carrière sur les plus grandes scènes, emmenée notamment par son interprétation de la figure mozartienne.
Son timbre de soprano dite coloratura, pouvant s’envoler dans des aigus spectaculaires, l’avait prédestinée au fameux aria de la Reine de la nuit et son contre-fa.
En tout, Edita Gruberova l’incarnera 148 fois, 70 rien que sur la scène du Staatsoper de Vienne. Là où cette native de Bratislava, fuyant la Tchécoslovaquie communiste au début des années 1970, débutait en alternant petits et grands rôles.
«Ce n’était pas facile pour elle, toute sa famille était de l’autre côté du rideau de fer et régulièrement menacée, rappelle Dominique Meyer, directeur de l’institution jusqu’en 2020 et désormais à la tête de La Scala de Milan. Elle en parlait souvent.» Mais l’époque joue paradoxalement en sa faveur: «Il y avait alors un manque de grands interprètes superlatifs qu’elle est venue combler. Naturellement par ses qualités vocales extraordinaires, son agilité virtuose.»
«Les gens l’aimaient»
Une puissance vocale rare et endurante, doublée d’une technique hors pair, qui ne tarde pas à envoûter le public. Chacune de ses apparitions est un triomphe, notamment dans l’un de ses autres rôles fétiches, la Zerbinetta de Strauss. «Il y a eu ce moment assez extraordinaire lors de la création de la nouvelle production d’Ariane à Naxos en 1976, au Staatsoper, se souvient Dominique Meyer. Avec Edita Gruberova dans le rôle de Zerbinetta. Le public l’a applaudie durant 35 minutes, au beau milieu de l’opéra! Elle avait le genre de voix qui font chavirer. Les gens l’aimaient.»
Adulée, véritable Callas de l’Europe centrale capable de provoquer des files d’attente interminables, Edita Gruberova n’en était pas moins une personne simple, souligne Dominique Meyer. «On la voyait se promener, sac plastique à la main, sans trop faire de cas de la manière dont elle était vêtue. Elle aimait raconter des histoires, elle était très drôle et très agréable avec les techniciens, son habilleuse l’adorait! Elle ne faisait la grande diva que sur scène.»
La cantatrice foulera celles de l’Opéra de Munich ou de Zurich, ses «maisons», en muse de Strauss comme de Mozart. Avant d’embrasser le répertoire bel canto, de Lucia di Lammermoor à Anna Bolena.
«Servir des génies»
Une scène qu’Edita Gruberova peinera à quitter, enchaînant les concerts jusque dans ses dernières années – et même une tournée au Japon en 2016. «Elle se battait pour continuer sa carrière, c’était sa vie», confirme Dominique Meyer. C’est finalement lors d’un concert de gala, en juin 2018, que la soprano a fait ses adieux à l’Opéra de Vienne, avant de se retirer complètement de la scène lyrique fin 2019.
Mardi, les hommages à la légende se sont multipliés. «Elle était l’une des meilleures sopranos du monde. Elle disait que son destin était de servir des génies tels que Mozart, Bellini, Schubert ou Donizetti», a notamment souligné la présidente slovaque Zuzana Caputova. «La voix d’Edita Gruberova reste en nous pour toujours.»
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