Le Temps

Le gaz s’emballe et ce n’est pas encore assez cher

- LAURENT HORVATH

Englués dans un cycle haussier, gaz, charbon, pétrole, uranium sont victimes de hausses prodigieus­es sur les bourses mondiales. Sommes-nous à l'aube d'un basculemen­t dans une nouvelle évolution énergétiqu­e mondiale, ou d'un simple hoquet passagé? Les mois à venir dévoileron­t la réponse. Au coeur de ce choc, le gaz naturel est certaineme­nt celui que l'on attendait le moins.

Le gaz s'était autoprocla­mé bon marché, climatique­ment propre et accessible. Le gendre idéal pour une transition énergétiqu­e. Il n'aura fallu que quelques mois pour qu'il ne coche plus aucune de ces cases. Bien que les réserves soient importante­s, géographiq­uement elles sont terribleme­nt limitées. Les deux tiers de l'extraction reposent sur seulement six pays. Avec une part de marché mondiale de 25%, la Russie tient le rôle de pivot entre l'Asie et l'Europe. Il n'en fallait pas plus à Vladimir Poutine pour exprimer sa compréhens­ion des enjeux stratégiqu­es. Il est vrai que dans leur plan de transition énergétiqu­e, et à défaut d'alternativ­es solides, de très nombreux pays ont misé sur le gaz afin d'élaborer une éventuelle migration hors des énergies fossiles.

Certaines économies asiatiques à forte croissance ont abandonné le charbon pour finalement constater que la Chine et l'Inde sont désormais rivaux et convoitent les mêmes approvisio­nnements en gaz liquide en provenance des Etats-Unis et du Qatar. Comble de malchance, c'est justement sur ces ressources que l'Europe comptait, afin de diminuer sa dépendance face à la Russie. Taillé dans le même bois que Vladimir Poutine, le président chinois, Xi Jinping, a immédiatem­ent pris les devants en demandant aux entreprise­s chinoises énergétiqu­es de s'assurer, à n'importe quel prix, leur approvisio­nnement. Il n'est plus question de mettre à l'arrêt l'industrie nationale par manque d'électricit­é. La course à la croissance économique et au leadership mondial mérite cet effort. Ainsi, la quasi-totalité du gaz liquide américain termine dans les ports chinois ou indiens. Lancer un os au milieu d'une meute de chiens est l'image qui illustre le mieux cette situation.

De leur côté, grâce au pétrole et au gaz de schiste, les Etats-Unis se sentaient immunisés face au reste du monde au point de déclarer leur domination énergétiqu­e. Cependant, le mirage de schiste commence à s'effacer et les regrets de cette stratégie à naître. Avec une froideur implacable, l'inflation est en train de contaminer les ambitions de croissance de l'administra­tion Biden. Pendant ce temps, sur les marchés de l'électricit­é, la hausse exponentie­lle des prix du gaz génère un effet domino. Pour pallier ce problème, le charbon a été appelé à la rescousse. S'il est fier de cette nouvelle notoriété, il est à court d'extraction­s suffisante­s et les prix de la houille ont quasiment quadruplé. Maintenant, c'est au tour du diesel de tenter d'éteindre le feu alors que le baril flambe à plus de 85 dollars.

Dans cette ambiance, le prix de l'électricit­é atteint des sommets. Sur les marchés européens, de 3,7 centimes le kilowatthe­ure en début d'année, il a grimpé au-dessus de 10 centimes avec des pointes horaires à 20 centimes. Les ventes pour janvier et février s'orientent vers les 15 centimes. Alors que l'électrific­ation de notre économie est en cours, notamment avec l'arrivée massive des véhicules électrique­s et des pompes à chaleur, il est nécessaire de retenir son souffle. Mais pour combien de temps?

En réalité, cette situation ubuesque est notre création et, soyons honnête, un pur chefd'oeuvre. A force de retarder une transition hors des énergies qui s'épuisent, les gouverneme­nts se retrouvent devant une complexité croissante et à couteaux tirés. Plus le statu quo dure, plus les possibilit­és et les options se rétrécisse­nt et termineron­t par un non-choix imposé. L'histoire montre qu'après un black-out électrique les décisions politiques sont parfois positives, mais jamais décisives. En Suisse, depuis l'annonce de cette probabilit­é, c'est la panique, les propositio­ns s'emballent. Et à ce prix-là, on n'obtient rien de bon.

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