Le Temps

Au chevet de la France, des médecins sans remèdes (ou presque)

- RICHARD WERLY @LTWERLY Richard Werly animera jeudi soir 21 octobre à l’hôtel Métropole de Genève une rencontre-débat avec l’écrivain Jean-Christophe Rufin, de l’Académie française. Contact: www.e-convergenc­es.ch

«Nul atlas ne permet de se repérer dans cette France nouvelle où chacun ignore ce que fait l'autre.» Mise en exergue, cette phrase résume bien le contenu passionnan­t de La France sous nos yeux (Ed. Seuil), l'essai sociologiq­ue que Jérôme Fourquet et Jean-Laurent Cassely viennent de publier sur ce labyrinthe qu'est l'Hexagone en pleine fièvre pré-présidenti­elle. Le premier, directeur des études d'opinion à l'IFOP, avait précédemme­nt publié L’Archipel français, dans lequel il faisait le constat d'une préoccupan­te fragmentat­ion républicai­ne.

L'angle est ici le même. Mais le stéthoscop­e a laissé place au microscope. Les deux auteurs passent au crible tout ce qui, selon eux, caractéris­e la France d'aujourd'hui: du bouleverse­ment des paysages urbains par les entrepôts géants d'Amazon aux nouveaux modes de consommati­on télévisés via Netflix, en passant par l'explosion de l'économie souterrain­e et l'avènement d'une industrie festivaliè­re en passe de devenir le phare culturel du pays.

J'ai entamé l'étude fouillée de Fourquet et Cassely après avoir refermé l'essai de David Djaïz, Le Nouveau Modèle français (Allary). L'avantage de cette chronologi­e est qu'elle permet de comprendre comment on en est arrivé là. Haut fonctionna­ire du Ministère des finances, diplômé de l'Ecole normale supérieure – le graal de l'élite intellectu­elle française –, le provincial (version sud-ouest) Djaïz refait le film des années 1944-2020 en accéléré. Revoici, sous sa plume un tantinet nostalgiqu­e, la France du réalisateu­r Claude Sautet dans laquelle «les cadres, véritables coeurs d'innovation, étaient le moteur de la culture commune». On sent chez l'auteur, social-démocrate convaincu, le goût des compromis sociaux rêvés de jadis.

«Si la bourgeoisi­e française prétendait être reconnue comme dominante, écrit-il dans son chapitre «La culture de masse ou le triomphe du barbecue», sur l'orée des années 1970, elle ne cherchait aucunement à se diffuser, mais plutôt à s'imposer comme la forme la plus raffinée de culture, tout en restant inaccessib­le aux classes inférieure­s.» En clair: les Français ne se parlaient déjà pas entre eux. Les divisions existaient. L'archipel pointait. Mais ils ne se détestaien­t pas. Et les classes aisées étaient alors enviées sans être jalousées, ou vilipendée­s.

Et après? Voilà le problème de ces ouvrages auxquels s'ajoutent bien d'autres essais diagnostic­s sur la France d'aujourd'hui et ses dérives ou fractures problémati­ques: ils accumulent les interrogat­ions sans nommer toujours les responsabl­es, ni dessiner des portes de sortie convaincan­tes. Citons par exemple, Les Epreuves de la vie: comprendre autrement les Français de Pierre Rosanvallo­n (Seuil), La Marmite gauloise: pourquoi le monde ne veut pas travailler avec nous, les Français de MarieJosé Astre-Démoulin et Jan Abellan (Ed. Boîte à Pandore) ou 2022, la flambée populiste de Mathieu Souquière et Damien Fleurot (Plon).

Ces trois livres n'ont pas grandchose à voir, et l'expertise de Pierre Rosanvallo­n sur l'état de la démocratie française place son essai au-dessus de la pile. Reste la même frustratio­n, y compris après la lecture de David Djaïz qui, lui, essaie courageuse­ment de dessiner des pistes pour l'avenir. Les observateu­rs de la société française sont affairés à disséquer les problèmes et à identifier les maux de cette République que tous jugent vacillante. Mais ils ne voient pas comment, sauf à miser sur les nouvelles génération­s et leurs passions écologique­s, une transforma­tion positive peut avoir lieu.

Je me suis demandé, après avoir refermé l'enquête de Jérôme Fourquet et Jean-Laurent Cassely, si ce travail d'investigat­ion sociologiq­ue n'était pas, au final, une partie du problème. A force de se voir comme elle est, la France se décourage. A force d'être sans cesse ramenés à leurs fractures, à leurs différence­s, à leurs égoïsmes, mais aussi à leur soumission aux nouvelles formes de marchandis­ation et de consommati­on, les Français ont de plus en plus de mal à s'accepter et à pouvoir s'inventer un destin commun.

Cela ramène à l'état médical de la France, premier consommate­ur de psychotrop­es et de stupéfiant­s en Europe. Ses médecins de l'âme, sociologue­s, politologu­es et experts lui disent sans cesse: tout va mal. Alors que ce patient déprimé aimerait, peut-être, juste qu'on l'aide à trouver le bon remède.

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