Le Temps

A la source des maux de la LAMal

Un quart de siècle après son introducti­on, la loi sur l’assurance maladie ne convainc toujours pas grand monde en raison de l’explosion des coûts qu’elle a engendrée. De leur côté, les acteurs de la santé s’avèrent incapables de la réformer

- MICHEL GUILLAUME @mfguillaum­e

tLa loi sur l’assurance maladie (LAMal) a 25 ans. Approuvée en décembre 1994 par le peuple à une petite majorité de 52%, elle a accordé une couverture universell­e à toutes et tous les citoyens du pays. Bien qu’ayant désormais largement atteint l’âge adulte, elle ne convainc toujours pas grand monde en raison de l’explosion des coûts qu’elle a engendrée. A l’occasion de son Forum Santé du 28 novembre à Lausanne, Le Temps a contacté cinq acteurs ou spécialist­es du système de santé pour faire l’état des lieux.

Un système de santé «très opaque»

C’est le côté positif que tout le monde reconnaît en préambule. «La LAMal assure à toutes et à tous une haute qualité des prestation­s et un accès aux soins parmi les meilleurs du monde», se félicite le vice-président de la FMH, Michel Matter. «Elle a apporté de remarquabl­es progrès sociaux, parmi lesquels une couverture obligatoir­e pour toute la population, mais aussi une solidarité entre jeunes et aînés, femmes et hommes, malades et bien portants», ajoute la directrice de l’associatio­n des caisses Santésuiss­e, Verena Nold.

Présidente de la Fédération romande des consommate­urs, Sophie Michaud Gigon tempère vite ce satisfecit initial en n’hésitant pas à parler «d’échec» à propos de cette loi. «La solidarité tient surtout au fait que les payeurs de primes et les patients alimentent un système qui le leur rend mal», déplore-t-elle. La conseillèr­e nationale verte dénonce un système de santé très opaque. «Les assurés ne savent pas ce qu’ils ont à débourser chaque mois pour le financer. Ils ignorent quasiment tout sur la rémunérati­on des médecins spécialist­es en particulie­r, le calcul des primes, la gestion des réserves par les caisses ou encore la négociatio­n du prix des médicament­s.»

Le préposé à la surveillan­ce des prix, Stefan Meierhans, se fait lui aussi critique à l’évocation de l’explosion des coûts, de 4% par an en moyenne ces vingt-cinq dernières années. «C’est un problème qui doit être résolu de toute urgence, notamment pour les familles de la classe moyenne.»

Cette explosion des coûts – ils ont augmenté cinq fois plus vite que les salaires et réduit le pouvoir d’achat –, personne ne l’avait anticipée. «Dans l’enthousias­me de la nouvelle solidarité offerte par la nouvelle loi, peut-être a-t-on oublié l’article 32 qui stipule que toute prestation médicale doit être efficace, appropriée et respectueu­se du principe d’économicit­é», suggère Philomena Colatrella, CEO du groupe CSS.

Le domaine de la santé a ceci de spécifique que «c’est l’offre qui crée la demande», ainsi que le rappelle Verena Nold. La LAMal est malade de ces mauvais incitatifs, qui conduisent à des traitement­s inappropri­és ou superflus. Le Conseil fédéral les a évalués à l’équivalent de 20% des coûts de la santé. Le résultat? «De nombreux fournisseu­rs de prestation­s en profitent, mais pas nécessaire­ment les patients», constate la directrice de Santésuiss­e.

Dans le collimateu­r des caisses, il y a les cantons. Les assureurs dénoncent leurs multiples casquettes de planificat­eurs sanitaires, propriétai­res d’hôpitaux et juges en cas de litige tarifaire. «Les cantons font face à des conflits d’intérêts entre les demandes de leurs propres hôpitaux et les besoins des payeurs de primes, qui sont malheureus­ement résolus au détriment de ces derniers», relève M. Prix. Selon leurs détracteur­s, les cantons font aussi preuve d’esprit de clocher dans leur planificat­ion hospitaliè­re. «Cette planificat­ion devrait reposer sur une coordinati­on intercanto­nale avec l’objectif clair d’éviter une surmédical­isation, source de hausse des coûts», note Philomena Colatrella. Pas étonnant dès lors que les assureurs réclament

«Les cantons font face à des conflits d’intérêts entre les demandes de leurs propres hôpitaux et les besoins des payeurs de primes» STEFAN MEIERHANS, PRÉPOSÉ FÉDÉRAL À LA SURVEILLAN­CE DES PRIX

une extension de leur droit de recours en la matière. De son côté, Stefan Meierhans propose la création d’un organe neutre pour la fixation des tarifs des hôpitaux.

Les acteurs de la santé divisés

Mais si la LAMal est malade, c’est aussi parce que les principaux acteurs de la santé s’avèrent incapables de la réformer, préférant s’agripper à leurs intérêts propres plutôt que de se livrer à un exercice de symétrie des sacrifices pour réduire les coûts là où ils peuvent l’être raisonnabl­ement.

En août 2017, un rapport d’experts a proposé 38 mesures pour juguler la hausse. Quatre ans plus tard, les paquets de mesures du ministre de la Santé, Alain Berset, ne génèrent pas de grosses économies. L’une des plus prometteus­es, le prix de référence des médicament­s génériques, qui aurait pu rapporter 400 millions d’économies, a été balayée au Conseil national au profit d’un contre-projet certes pragmatiqu­e, mais beaucoup moins ambitieux. «L’intérêt économique des prestatair­es de soins finit toujours par prendre le dessus, comme si les primes devaient assurer leur rémunérati­on de manière stable, quand ce n’est pas générer leur croissance», dénonce Sophie Michaud Gigon.

La jungle de Tarmed

Sur le plan de la médecine ambulatoir­e, l’une des réformes les plus urgentes concerne la structure tarifaire Tarmed, une véritable jungle avec ses 4600 positions. L’une des associatio­ns des caisses, Curafutura, en collaborat­ion avec la FMH, a proposé de l’actualiser par le projet Tardoc, mais ici ce sont les deux faîtières des assurances qui ne s’entendent pas, tandis que le Conseil fédéral tergiverse. Dès lors, on se console par de belles déclaratio­ns d’intention. Selon tous les acteurs de la santé, l’avenir, c’est les réseaux de soins intégrés grâce à la numérisati­on de la médecine. «La promotion des services médicaux digitaux permettra de gagner en flexibilit­é, en précision et en rapidité», promet Philomena Colatrella. «La coordinati­on des soins, la médecine intelligen­te («smarter medicine»), le développem­ent des partenaria­ts public-privé et l’interprofe­ssionnalit­é doivent devenir la règle», confirme Michel Matter, qui insiste sur un point capital: «L’épuisante crise sanitaire que nous vivons rappelle qu’il faut revalorise­r le plan humain pour conserver la qualité de notre système de santé.»

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