Comment les entreprises naviguent entre inflation et pénuries
Les résultats des sociétés au troisième trimestre montrent que celles qui peuvent transférer la hausse de leurs coûts sur le consommateur s’en sortent le mieux. Quand elles ne sont pas victimes de ruptures d’approvisionnement, préviennent des investisseurs
tAlors que Nestlé et d’autres multinationales publient leurs résultats trimestriels, les investisseurs seront surtout à l’affût de leurs prévisions concernant les prochains mois et 2022. Les grands patrons vont parler difficultés d’approvisionnement, inflation, niveaux de salaires et, bien sûr, croissance à venir. Tour d’horizon des enseignements à tirer, et des secteurs à privilégier.
«Lors de la publication de ses résultats ce mercredi, Nestlé a démontré qu’elle pouvait répercuter sur les consommateurs l’augmentation des coûts des intrants que sont les matières premières ou l’énergie, avance Erik Fruytier, responsable des investissements à la banque Gonet. Le groupe veveysan a fait état d’une hausse des prix moyenne de 2,1% au troisième trimestre. Je pense que nous verrons ce genre de stratégie chez toutes les grandes entreprises.»
Ce pricing power est capital pour l’avenir, estime Farès Benouari, gérant senior en actions suisses et globales à l’UBP. Les entreprises qui ont déjà publié leurs résultats font état de tensions au niveau des semi-conducteurs, dont la pénurie se poursuit, et au niveau des matières premières, avec la hausse du prix de l’aluminium et du plastique, qui a une incidence sur le coût des emballages, observe le spécialiste.
«Les coûts du transport sont également mentionnés, et tous ces facteurs poussent certaines entreprises, pas toutes, à tempérer les attentes de résultats pour 2021», ajoute-t-il. Pas toutes, car «celles qui disposent d’un pouvoir de fixation des prix peuvent préserver leurs marges et traverser sans encombre cette période de crise de la chaîne d’approvisionnement, qui devrait être résolue courant 2022.»
«Les profits sont bons»
Les entreprises naviguent à vue en ce moment, estime pour sa part Nicolas Walewski, gérant et directeur d’Alken AM à Londres: «Elles sont sous pression à court terme à cause de l’augmentation du coût des matières premières et des salaires, qui ne fait que commencer. Tout le monde essaie frénétiquement d’obtenir des puces électroniques, des produits finis ou semi-finis.» Entre le risque inflationniste et la perspective de pénuries d’énergie pendant l’hiver, le gérant se veut prudent, en conseillant à l’investisseur de conserver des liquidités et de privilégier des secteurs comme la défense, la construction ou les matières premières.
Les augmentations de prix ne freinent pas la consommation, car «il y a un effet de rattrapage après la crise de 2020: le consommateur a envie de consommer, et il en a les moyens avec l’épargne accumulée pendant les périodes de confinement», reprend Erik Fruytier, de Gonet. Mais certaines entreprises, bien que très fortes dans leur secteur, ne peuvent pas toujours répondre à cette demande. «Les prévisions présentées par Nike le 23 septembre, en même temps que ses résultats trimestriels, ont déçu car l’entreprise a mentionné qu’elle livrerait plus tard ses produits qui sont très demandés. Nike produit 70% de ses chaussures et 30% de ses vêtements au Vietnam, où les usines ont fermé à cause des cas de covid. Les analystes financiers ont donc revu à la baisse leurs prévisions de bénéfices.»
Autre exemple avec l’automobile, touchée par la pénurie de puces électroniques (qui a poussé les constructeurs à favoriser certains modèles au détriment d’autres), et maintenant par le manque de matières premières telles que l’aluminium (qui conduit à la fermeture d’usines). «Mais les cours boursiers se sont maintenus, car les profits sont bons: le peu de voitures en vente permet aux constructeurs de ne pas devoir offrir de rabais, habituellement très présents dans ce secteur. Ce phénomène
«Une partie de la forte demande actuelle ne pourra pas être satisfaite en 2021 et sera reportée sur 2022» FARES BENOUARI, GÉRANT SENIOR EN ACTIONS SUISSES ET GLOBALES À L’UBP
sera toutefois passager», analyse encore Erik Fruytier, qui résume: «Plus une entreprise dispose d’une chaîne d’approvisionnement globalisée, plus elle risque de ne pas pouvoir offrir ses produits.»
La Suisse, attractive
Pour 2021, les marchés s’attendent à une progression de 49% des bénéfices par action au niveau mondial par rapport à 2020, alors qu’ils prévoyaient 30% en janvier dernier. Mais les prévisions pour 2022 sont restées stables et Fares Benouari, de l’UBP, considère qu’elles sont trop faibles: «Une partie de la forte demande actuelle ne pourra pas être satisfaite en 2021 et sera reportée sur 2022, par exemple pour ce qui est des semi-conducteurs, mais aussi des produits qui en ont besoin, comme l’automobile ou l’électronique.»
Ce qui explique que l’équipe de gestion d’UBP ait une vue constructive sur 2022, malgré des valorisations boursières qui peuvent sembler élevées. «Les entreprises peu valorisées le sont pour une bonne raison et elles vont continuer à souffrir; c’est pourquoi il faut privilégier les sociétés et les géographies générant une forte création de valeur, comme la Suisse, où les actions offrent en outre un bon point d’entrée maintenant que leur prime de valorisation – considérable par rapport au reste du monde – s’est récemment rétractée», conclut le gérant.■