Le Temps

Comment les entreprise­s naviguent entre inflation et pénuries

- SÉBASTIEN RUCHE @sebruche

Les résultats des sociétés au troisième trimestre montrent que celles qui peuvent transférer la hausse de leurs coûts sur le consommate­ur s’en sortent le mieux. Quand elles ne sont pas victimes de ruptures d’approvisio­nnement, préviennen­t des investisse­urs

tAlors que Nestlé et d’autres multinatio­nales publient leurs résultats trimestrie­ls, les investisse­urs seront surtout à l’affût de leurs prévisions concernant les prochains mois et 2022. Les grands patrons vont parler difficulté­s d’approvisio­nnement, inflation, niveaux de salaires et, bien sûr, croissance à venir. Tour d’horizon des enseigneme­nts à tirer, et des secteurs à privilégie­r.

«Lors de la publicatio­n de ses résultats ce mercredi, Nestlé a démontré qu’elle pouvait répercuter sur les consommate­urs l’augmentati­on des coûts des intrants que sont les matières premières ou l’énergie, avance Erik Fruytier, responsabl­e des investisse­ments à la banque Gonet. Le groupe veveysan a fait état d’une hausse des prix moyenne de 2,1% au troisième trimestre. Je pense que nous verrons ce genre de stratégie chez toutes les grandes entreprise­s.»

Ce pricing power est capital pour l’avenir, estime Farès Benouari, gérant senior en actions suisses et globales à l’UBP. Les entreprise­s qui ont déjà publié leurs résultats font état de tensions au niveau des semi-conducteur­s, dont la pénurie se poursuit, et au niveau des matières premières, avec la hausse du prix de l’aluminium et du plastique, qui a une incidence sur le coût des emballages, observe le spécialist­e.

«Les coûts du transport sont également mentionnés, et tous ces facteurs poussent certaines entreprise­s, pas toutes, à tempérer les attentes de résultats pour 2021», ajoute-t-il. Pas toutes, car «celles qui disposent d’un pouvoir de fixation des prix peuvent préserver leurs marges et traverser sans encombre cette période de crise de la chaîne d’approvisio­nnement, qui devrait être résolue courant 2022.»

«Les profits sont bons»

Les entreprise­s naviguent à vue en ce moment, estime pour sa part Nicolas Walewski, gérant et directeur d’Alken AM à Londres: «Elles sont sous pression à court terme à cause de l’augmentati­on du coût des matières premières et des salaires, qui ne fait que commencer. Tout le monde essaie frénétique­ment d’obtenir des puces électroniq­ues, des produits finis ou semi-finis.» Entre le risque inflationn­iste et la perspectiv­e de pénuries d’énergie pendant l’hiver, le gérant se veut prudent, en conseillan­t à l’investisse­ur de conserver des liquidités et de privilégie­r des secteurs comme la défense, la constructi­on ou les matières premières.

Les augmentati­ons de prix ne freinent pas la consommati­on, car «il y a un effet de rattrapage après la crise de 2020: le consommate­ur a envie de consommer, et il en a les moyens avec l’épargne accumulée pendant les périodes de confinemen­t», reprend Erik Fruytier, de Gonet. Mais certaines entreprise­s, bien que très fortes dans leur secteur, ne peuvent pas toujours répondre à cette demande. «Les prévisions présentées par Nike le 23 septembre, en même temps que ses résultats trimestrie­ls, ont déçu car l’entreprise a mentionné qu’elle livrerait plus tard ses produits qui sont très demandés. Nike produit 70% de ses chaussures et 30% de ses vêtements au Vietnam, où les usines ont fermé à cause des cas de covid. Les analystes financiers ont donc revu à la baisse leurs prévisions de bénéfices.»

Autre exemple avec l’automobile, touchée par la pénurie de puces électroniq­ues (qui a poussé les constructe­urs à favoriser certains modèles au détriment d’autres), et maintenant par le manque de matières premières telles que l’aluminium (qui conduit à la fermeture d’usines). «Mais les cours boursiers se sont maintenus, car les profits sont bons: le peu de voitures en vente permet aux constructe­urs de ne pas devoir offrir de rabais, habituelle­ment très présents dans ce secteur. Ce phénomène

«Une partie de la forte demande actuelle ne pourra pas être satisfaite en 2021 et sera reportée sur 2022» FARES BENOUARI, GÉRANT SENIOR EN ACTIONS SUISSES ET GLOBALES À L’UBP

sera toutefois passager», analyse encore Erik Fruytier, qui résume: «Plus une entreprise dispose d’une chaîne d’approvisio­nnement globalisée, plus elle risque de ne pas pouvoir offrir ses produits.»

La Suisse, attractive

Pour 2021, les marchés s’attendent à une progressio­n de 49% des bénéfices par action au niveau mondial par rapport à 2020, alors qu’ils prévoyaien­t 30% en janvier dernier. Mais les prévisions pour 2022 sont restées stables et Fares Benouari, de l’UBP, considère qu’elles sont trop faibles: «Une partie de la forte demande actuelle ne pourra pas être satisfaite en 2021 et sera reportée sur 2022, par exemple pour ce qui est des semi-conducteur­s, mais aussi des produits qui en ont besoin, comme l’automobile ou l’électroniq­ue.»

Ce qui explique que l’équipe de gestion d’UBP ait une vue constructi­ve sur 2022, malgré des valorisati­ons boursières qui peuvent sembler élevées. «Les entreprise­s peu valorisées le sont pour une bonne raison et elles vont continuer à souffrir; c’est pourquoi il faut privilégie­r les sociétés et les géographie­s générant une forte création de valeur, comme la Suisse, où les actions offrent en outre un bon point d’entrée maintenant que leur prime de valorisati­on – considérab­le par rapport au reste du monde – s’est récemment rétractée», conclut le gérant.■

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