Le Temps

L’Union européenne à l’heure de l’indiscipli­ne

- RICHARD WERLY @LTwerly

L’actuel gouverneme­nt polonais est prévenu: avec, dans les mains, le moyen de pression presque parfait qu’est le plan de relance Next Generation EU et ses quelque 50 milliards d’euros de dons et prêts promis à Varsovie, la Commission européenne peut l’obliger à faire au moins en partie marche arrière, dans le duel qui oppose aujourd’hui ses juges constituti­onnels aux traités européens.

Les débats houleux du sommet des chefs d’Etat ou de gouverneme­nt des Vingt-Sept – qui s’est ouvert jeudi et s’achève ce vendredi – augurent donc des jours difficiles. Même si certains pays, comme l’Allemagne, plaident pour l’adoption d’un ton plus conciliant envers la Pologne, les institutio­ns communauta­ires ne vont pas se priver de montrer leurs muscles juridiques et économique­s. La preuve que la solidarité paie – faite durant la pandémie – est en plus un argument de poids vis-à-vis des peuples, quel que soit le niveau d’euroscepti­cisme ambiant.

Attention, toutefois, à ne pas s’illusionne­r: les remises en cause par les Etats membres de l’UE de la primauté du droit européen, éventuelle­ment assorties de demandes d’opt-out (dérogation­s) ne vont pas subitement s’interrompr­e. Dans de nombreux pays, le climat politique est dominé par des questions d’identité et de souveraine­té propices à remettre sur la table ces interrogat­ions juridiques – et ce doute sur l’intégratio­n communauta­ire – que l’on croyait à tort révolues. Plus grave: la mainmise du pouvoir exécutif sur la justice, dans plusieurs Etats d’Europe centrale et orientale, y a déjà profondéme­nt altéré la compositio­n de l’appareil judiciaire. Eteindre ce début d’incendie institutio­nnel exigera beaucoup de ténacité.

L’heure va donc rester à l’indiscipli­ne. Le club communauta­ire va devoir s’y habituer. D’autant que les conditions de déclenchem­ent de son arme fatale qu’est l’article 7 du Traité de Lisbonne (celui qui permet d’activer des sanctions contre un Etat de l’UE) exigent avant toute initiative un vote à la majorité des quatre cinquièmes des 27 pays membres. Cela ne veut pas dire que l’Union va reculer. Au contraire. Bruxelles est désormais condamné à la vigilance pour anticiper, jurisprude­nce polonaise en tête, d’autres crises possibles. Etre Européen, demain, sera tout sauf un long fleuve tranquille. ■

Eteindre ce début d’incendie institutio­nnel exigera beaucoup de ténacité

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