L’Irak devient inhabitable à cause de la chaleur
Une vague caniculaire s'est abattue cet été sur le Moyen-Orient. Combinée à la sécheresse, elle a eu des conséquences dévastatrices sur les plus précaires. Selon les experts, ces événements climatiques extrêmes seront plus nombreux à l'avenir et leur amplitude augmentera avec des températures de 60 degrés et plus. A moins, bien sûr, que les dirigeants réunis début novembre pour la COP26 ne parviennent à renverser la vapeur
«Il fait trop chaud!» s’exclame Amr pour justifier la fermeture de son épicerie du centre de Bagdad. Né à la lisière du désert, Amr est pourtant rompu aux températures torrides, il s’y est presque habitué, dit-il. Mais cet été 2021, le thermomètre est monté trop haut, même pour lui, et, surtout, la canicule a frappé précocement et a duré trop longtemps. L’Irak a connu une vague de chaleur et une sécheresse presque sans précédent avec des températures fin juin de plus de 53 degrés à la frontière du Koweït et de 51,5 à Bagdad où elles ont continué à flirter avec les 50 degrés jusqu’à début septembre.
Ce phénomène exceptionnel s’inscrit dans un contexte de réchauffement global, mais il prend une dimension dramatique au Moyen-Orient où les températures estivales normales mettent déjà à rude épreuve les organismes. Selon des experts de l’Institut Max-Planck et du Cyprus Institute, il pourrait y être plus marqué qu’ailleurs et excéder ce que l’être humain peut supporter sans mettre sa santé en danger. En plus des conséquences sur la santé des plus vulnérables, la canicule a accentué le fossé entre riches et pauvres. Si les prévisions se confirmaient, Bagdad, le sud de l’Irak ainsi que d’autres pays de la région pourraient littéralement devenir invivables avant la fin du siècle.
Le mercure affiche 50 degrés, l’air est sec et pique les yeux, le moindre courant d’air fait l’effet d’une brûlure sur la peau. Entre le soleil et l’ombre, il n’y a presque plus de différence. Amr suffoque, il espérait que, tapi dans l’obscurité de son arrière-boutique, il pourrait trouver un peu de sommeil: «J’ai mal dormi, je ne vais pas pouvoir travailler aujourd’hui.» La nuit, la chaleur ne descend pas assez, il fait encore près de 40, se désole Amr: «En été, il nous arrive de dormir sur le toit de l’immeuble, mais cette année même le toit est devenu insupportable. A l’intérieur, c’est pire: le ventilateur ne bouge plus et, même s’il y avait du courant, il ne ferait que remuer l’air bouillant. L’air conditionné ne sert que de décoration. Notre problème n’est pas la chaleur mais les coupures d’électricité.»
L’Irak compte pour son approvisionnement électrique sur quelques barrages et sur ses centrales au fioul qui tournent à plein régime mais ne suffisent pas à satisfaire les besoins. Mais cette année, à cause de la sécheresse et d’une mauvaise gestion des ressources hydriques entre la Turquie et ses deux voisins en aval, les barrages sur le Tigre et l’Euphrate fonctionnent au ralenti. Aux problèmes climatiques s’ajoute l’impéritie gouvernementale: le manque d’investissement et la corruption ont fragilisé les infrastructures énergétiques et le réseau électrique. En réaction, les Bagdadis sont descendus dans la rue pour protester contre les coupures de courant et contre les privilèges de la classe dirigeante qui, elle, ne connaît pas les coupures.
Les générateurs ronflent bruyamment sur l’avenue Sadoun, au centre de Bagdad, dans la touffeur d’une nuit d’août. Ce sont de grands blocs protégés par des grillages qui, en plus du bruit, dégagent une fumée nauséabonde pour produire les kilowatts dont manquent les Irakiens. Mais avec les pics de consommation, les prix flambent et mettent cette énergie hors de portée de la plupart des Irakiens, explique, en colère, Amr: «Il faut payer jusqu’à 150 dollars par mois pour pallier les coupures, c’est presque le quart de mes revenus.» Alors qu’Amr s’éloigne en maugréant, une famille s’entasse dans une petite berline: trois enfants sur les sièges arrière, la mère et un tout-petit à l’avant, le père derrière le volant. Il démarre le moteur mais la voiture ne bougera pas: il ne s’agit pas de voyager mais de profiter de l’air conditionné pour que les petits trouvent un peu de sommeil.
A l’Hôpital général Al-Khark de Bagdad, on dit ne pas avoir de statistiques sur la hausse de mortalité liée à la chaleur, mais, explique un chef de clinique qui préfère garder l’anonymat, «nous n’avons pas de statistiques fiables même pour le covid. En ce qui concerne la chaleur, seuls les plus vulnérables développent des pathologies graves. En revanche, le manque d’eau lié à la sécheresse a eu des conséquences massives avec des contaminations de l’eau potable par des germes. Mais là non plus, il n’y a pas de chiffres.»
Une étude menée conjointement par l’Institut Max-Planck pour la chimie et le Cyprus Institute et publiée en mars dernier annonçait la probabilité de plus en plus grande de voir des événements climatiques extrêmes au Moyen-Orient. «Une des différences que l’on constate dans la région MENA (Moyen-Orient et Afrique du Nord), c’est que le réchauffement sera plus marqué en été, alors qu’en Europe c’est en hiver», détaille George Zittis, du Cyprus Institute et auteur principal de l’étude, «si on ne fait rien, dans la seconde moitié du siècle, on verra de plus en plus de super et d’ultra-extrêmes vagues de chaleur durant lesquelles les températures pourraient monter jusqu’à 56 degrés, c’est-à-dire près de six à sept degrés de plus que les moyennes actuelles et même jusqu’à 60 degrés dans les centres urbains. Ces épisodes caniculaires pourraient durer des semaines, mettant en danger la vie des êtres humains et des animaux. Plus de 600 millions de personnes seront concernées dans la région MENA.»
Selon les chercheurs, les vagues de chaleur du Moyen-Orient s’accompagneront d’une baisse sensible des précipitations, comme la sécheresse constatée cet été. Des millions d’Irakiens voient leurs récoltes être anéanties par la sécheresse. Face au manque d’eau chronique, le gouvernement irakien a décidé de réduire de moitié les surfaces qui seront cultivées l’hiver prochain. Des milliers de familles devront abandonner leurs terres pour s’établir ailleurs.
«Les plus vulnérables pourraient ne pas avoir les moyens de s’adapter à ces nouvelles et pénibles conditions de vie», explique George Zittis, «ces vagues de chaleur combinées aux difficultés socioéconomiques et à l’instabilité politique qu’elles induisent pourraient causer une migration vers des régions plus fraîches». ■
50 degrés, l’air est sec et pique les yeux, le moindre courant d’air fait l’effet d’une brûlure sur la peau