Le Temps

Sur les soins infirmiers, une initiative très populaire

- MICHEL GUILLAUME, BERNE @mfguillaum­e

Face à un texte dopé par le capital sympathie accumulé par les infirmière­s et infirmiers durant la pandémie, le contre-projet fait pâle figure. Mais ses partisans y voient une solution rapide grâce au milliard de francs qui serait investi dans la formation

Certes, la population les a applaudis durant quelques semaines au début de la pandémie de covid. Mais les infirmière­s et infirmiers en ont tout de même ras le bol. Leur associatio­n faîtière (ASI) n’a pas retiré son «initiative pour des soins infirmiers forts», lancée bien avant l’éclatement de la crise sanitaire. Le premier sondage de Tamedia semble lui donner raison: 82% d’avis favorables ou plutôt favorables. Même s’il n’est pas rare qu’une initiative perde 20 points au cours d’une campagne, c’est bien parti pour les partisans du oui.

Ce n’est pas une menace à venir, mais une réalité. La pénurie de main-d’oeuvre frappe déjà le secteur des soins: 11000 postes ne sont pas pourvus, dont 6200 concernent des infirmière­s et infirmiers. Le problème n’est pas nouveau. Durant plusieurs années, les Chambres ont débattu d’une initiative parlementa­ire de Rudolf Joder (UDC/BE) datant de 2011 pour améliorer la situation, mais sans succès. Aussi l’ASI a-t-elle tiré la sonnette d’alarme en janvier 2017 en lançant une initiative populaire qui a abouti en quelques mois. Elle veut inscrire la promotion des soins dans la Constituti­on en demandant à la Confédérat­ion et aux cantons de «veiller à ce que chacun ait accès à des soins suffisants et de qualité». Elle met l’accent sur de meilleures conditions de travail pour le personnel infirmier.

«Depuis le printemps 2020, les soignants travaillen­t sans relâche pour surmonter les effets de la pandémie de covid. Leurs efforts méritent d’être loués et reconnus» VERENA NOLD, DIRECTRICE DE SANTÉSUISS­E

Un personnel «épuisé et frustré»

Dans un premier temps, le Conseil fédéral ne rejette pas seulement l’initiative, mais ne voit même pas la nécessité d’y opposer un contre-projet. «Une immense déception», raconte la présidente de l’ASI, Sophie Ley. Plus tard, la Commission de santé du Conseil national corrige le tir. En juin dernier, les Chambres accouchent d’un contre-projet indirect, qui pourrait entrer immédiatem­ent en vigueur si l’initiative était rejetée par le peuple.

C’est ici que commence le jeu des différence­s, car sur un point tout le monde est désormais d’accord: il y a nécessité d’agir. La pandémie de covid a ouvert les yeux des politiques comme ceux du grand public. «Nos profession­nels sont surchargés, épuisés et frustrés», résume Sophie Ley. «Depuis le printemps 2020, les soignants travaillen­t sans relâche pour surmonter les effets de la pandémie de covid. Leurs efforts méritent d’être loués et reconnus», admet la directrice de l’associatio­n faîtière des assureurs Santésuiss­e, Verena Nold, partisane du contre-projet.

Le contre-projet reprend deux revendicat­ions importante­s de l’initiative. D’une part, il lance une offensive en faveur de la formation. Durant huit ans, la Confédérat­ion et les cantons peuvent y investir près de 1 milliard de francs, s’engageant tous deux jusqu’à une somme de 470 millions. Ces moyens sont destinés aux institutio­ns de formation, aux hôpitaux, aux EMS et aux services de soins à domicile pour augmenter le nombre de places de formation. D’autre part, le contre-projet permet aux infirmière­s et infirmiers de facturer directemen­t des prestation­s aux assurances, sans plus passer par l’intermédia­ire d’un médecin. Pour prévenir une hausse des coûts de la santé, les Chambres ont tenu à instaurer un mécanisme de contrôle.

«Nous avons longtemps travaillé de manière constructi­ve avec les initiants dans le but que ceux-ci retirent leur initiative», relève la conseillèr­e aux Etats Johanna Gapany (PLR/FR). Selon elle, l’initiative va trop loin en inscrivant dans la Constituti­on la nécessité d’améliorer les conditions de travail du personnel infirmier. «Ceux qui sont le mieux à même de le faire, ce sont ses employeurs, soit les cantons lorsqu’ils possèdent les hôpitaux et les institutio­ns privées.»

L’initiative traduit le ras-le-bol d’une profession qui ne l’a pas toujours été dans l’inconscien­t collectif. «Ce n’est plus une vocation dont le salaire et les conditions de travail importent peu. Elle demande une formation exigeante», souligne Sophie Ley. «Le covid a encore augmenté la charge de travail des soignants, ce qui met en péril la sécurité des soins lorsqu’on manque de personnel», ajoute-t-elle. C’est un fait: un tiers des infirmière­s et infirmiers quittent leur métier avant l’âge de 35 ans. «A quoi bon une offensive de formation si les soignants abandonnen­t leur profession aussi vite? C’est de l’argent gaspillé», insiste Sophie Ley.

C’est la raison pour laquelle l’ASI n’a pas retiré son initiative, soutenue par le centre gauche et la FMH des médecins. La droite la combat, de même que les hôpitaux et les caisses maladie, qui font remarquer que le personnel soignant a tout de même vu ses effectifs augmenter «de 42% entre 2007 et 2019 pour atteindre 150000 équivalent­s plein-temps». «Le contre-projet a le mérite d’offrir une solution immédiate, alors que l’initiative fait perdre du temps aux soignants car il faudrait plusieurs années pour rédiger une loi de mise en oeuvre», déclare Johanna Gapany.

Mais la pandémie a mis en exergue «l’importance systémique» du personnel de santé, ce qui explique l’énorme capital sympathie de l’initiative auprès du public que révèle le premier sondage. Au parlement aussi, le vent semble avoir tourné. Certes, les deux Chambres ont entériné le contre-projet en juin dernier. Mais pas plus tard que lors de la dernière session de septembre, le Conseil national a approuvé, par 106 voix contre 79, une motion de Martin Landolt (Le Centre/GL) en faveur de l’introducti­on d’un ratio entre le nombre d’infirmiers et celui des patients. Or, il s’agit là justement d’une revendicat­ion phare de l’initiative. ■

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