Le Temps

Stupeur après le piratage du Seco

La plateforme gérée par le Secrétaria­t d’Etat à l’économie EasyGov, sur laquelle des milliers d’entreprise­s ont déposé leur demande de crédit Covid-19, a été piratée en août. Experts et politiques considèren­t que cette situation doit servir de leçon

- CHAMS IAZ @IazChams

Au moins 130000 noms d’entreprise­s suisses ont été dérobés par des pirates informatiq­ues. Toutes ont fait une demande de crédit Covid-19 en 2020 sur la plateforme EasyGov. En tant qu’exploitant du site Easygov. swiss, c’est le Secrétaria­t d’Etat à l’économie (Seco) qui a annoncé par voie de communiqué, ce jeudi 21 octobre, l’existence de cette cyberattaq­ue remontant au mois d’août.

Contacté, le Seco assure que seule cette liste contenant «les noms des entreprise­s, leur numéro UID et l’informatio­n indiquant si un crédit covid leur a été accordé ou non» a été volée. Le montant de ce crédit n’aurait, quant à lui, pas fuité. Les auteurs, encore non identifiés, ont profité d’une faille de sécurité pour mener cette opération. Et selon le Seco, il n’y en a pas d’autres. Quelques minutes après son signalemen­t, mardi dernier, «nous avons immédiatem­ent rendu l’accès à ces données impossible et supprimé celles-ci», indique-t-il. Une enquête est toujours en cours avec l’assistance du Centre national pour la cybersécur­ité (NCSC).

Les cyberattaq­ues sont fréquentes sur le territoire ces derniers temps. Il y a d’abord eu l’espionnage du groupe de défense et d’armement Ruag en mai 2016, un nombre important d’entreprise­s victimes de ransomware – ou rançongici­els – comme le comparateu­r en ligne Comparis en juillet 2021, puis le piratage de l’administra­tion communale de Rolle au mois d’août, suivi par celui de la ville de Montreux et de communes voisines début octobre. Une situation qui met en évidence la vulnérabil­ité de notre société qui repose sur le numérique.

Des failles sécuritair­es

«Cela montre que nous avons un déficit en matière de défense informatiq­ue, réagit le conseiller national (PS/VD) Roger Nordmann. Qu’une petite commune ou une PME soit victime de cyberattaq­ue, cela peut encore être explicable, mais que la Confédérat­ion soit touchée, c’est particuliè­rement grave, car ce sont des données fédérales.» Le délai de cette communicat­ion, «deux mois après l’attaque», pointe-t-il, serait un autre élément problémati­que. «C’est tard et cela peut nuire à la confiance des citoyens envers l’Etat. En Estonie, un pays à la pointe de la numérisati­on, les communicat­ions sur les failles ou problèmes rencontrés sont immédiatem­ent révélées.»

La nouvelle loi sur la protection des données adoptée par le parlement en automne 2020 stipule que l’annonce d’un cas de violation de la sécurité doit être faite auprès du préposé fédéral à la protection des données «dans les meilleurs délais». Une rédaction juridique «assez vague» pour Florence Bettschart-Narbel, membre du Grand Conseil vaudois (PLR) et avocate spécialist­e de la loi sur la protection des données. «Le règlement européen fixe de son côté un délai de 72 heures», note celle pour qui notre société est en train de changer de paradigme.

«Nous accordons plus d’importance à nos données, mais les moyens légaux restent faibles et le cadre juridique doit être précisémen­t défini, poursuit-elle. Personne n’est à l’abri d’une cyberattaq­ue et cela va être de plus en plus compliqué de garantir la sécurité du monde numérique et d’évaluer qui sont les responsabl­es.» En l’occurrence, elle estime que les noms d’EasyGov sont «des données sensibles, car elles donnent des informatio­ns non négligeabl­es sur ces 130000 entreprise­s».

«Situation de vulnérabil­ité»

Pour Gerhard Andrey, conseiller national (Vert·e·s/FR) et entreprene­ur dans le numérique, «c’est la crédibilit­é de nos institutio­ns qui est ébranlée avec ce genre de perte de données». Face à la numérisati­on de notre société accélérée par la pandémie, «nous sommes dans une situation de vulnérabil­ité. Le marché des données dérobées ne cesse de grandir et de se profession­naliser. La protection permanente de nos infrastruc­tures et une réelle prise de conscience du danger devraient être une priorité.»

Un sentiment d’urgence qui transparaî­t aussi dans les propos d’Alexis Roussel, cofondateu­r de la plateforme de trading de cryptomonn­aies Bity. com. «La maison brûle, résumet-il. Et l’administra­tion fédérale n’en a pas conscience ou refuse volontaire­ment de le voir. La croyance du «tout est sous contrôle» perdure alors que nos institutio­ns sont dépassées par la situation. Les stratégies de cybersécur­ité sont quasi inexistant­es dans le pays, pour respecter l’intégrité numérique des citoyens et citoyennes. Nos données sont mises en danger par la faute de l’absence d’une politique claire sur le sujet alors qu’aujourd’hui elles sont traitées par le milieu administra­tif sans que l’on ait donné notre consenteme­nt.» ▅

«C’est la crédibilit­é de nos institutio­ns qui est ébranlée avec ce genre de perte de données» GERHARD ANDREY, CONSEILLER NATIONAL (VERTS/FR)

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