Le Temps

Le ski alpin vers un nouvel ordre mondial

CIRQUE BLANC Il y aura, cette saison en Coupe du monde, autant d’épreuves de vitesse que de technique. Cela promet d’ouvrir la lutte pour le grand globe de cristal à des profils qui en étaient exclus depuis des années

- LIONEL PITTET @lionel_pittet

Un spécialist­e de vitesse remportera-t-il la Coupe du monde de ski alpin 2021-2022? Ce n'est pas impossible, et cela constitue en soi une petite révolution. Il y aura cet hiver exactement autant de descentes et de super-G que de géants et de slaloms, chez les femmes comme chez les hommes, alors que la répartitio­n des épreuves favorisait nettement les technicien­s ces dernières années.

La saison passée, les spécialist­es de vitesse ont bénéficié, respective­ment côté féminin et côté masculin, de 15 et 16 courses pour s'illustrer. Leurs rivaux plus à l'aise dans les virages en ont eu 19 et 22. Un avantage dont ont su profiter la Slovaque Petra Vlhova (venue du slalom) et le Français Alexis Pinturault (géant) pour s'imposer devant les Suisses Lara Gut-Behrami et Marco Odermatt, qui comptaient eux davantage sur les descentes et les super-G.

Au cours de la saison qui commence ce week-end à Sölden (Autriche), les uns et les autres auront 18 courses pour briller. Chez les hommes, il y aura 11 descentes, 7 super-G, 8 géants et 10 slaloms. Chez les femmes, 9 courses dans chacune des quatre discipline­s classiques. Dans les deux genres, il reste quand même une épreuve parallèle qui profitera plutôt aux amateurs de piquets serrés. Mais le programme n'en demeure pas moins beaucoup plus équitable qu'il n'a pu l'être récemment.

Une quête de renouvelle­ment

«Je n'ai qu'un mot à dire: «enfin!», s'exclame l'entraîneur et consultant valaisan Patrice Morisod. Le déséquilib­re était devenu patent. Il fallait absolument faire en sorte que les spécialist­es de vitesse puissent marquer autant de points que les technicien­s et, pour cela, il y avait deux possibilit­és: soit distribuer davantage de points lors de chaque descente et super-G, soit revoir le nombre de courses. La Fédération internatio­nale de ski [FIS] a opté pour cette seconde option et c'est une très bonne chose.»

Plusieurs facteurs expliquent que le programme en était arrivé à pencher aussi fortement en faveur des technicien­s. Si la vitesse offre au ski alpin ses épreuves les plus prestigieu­ses (les descentes de Wengen et de Kitzbühel), elle met les organisate­urs au défi de préparer des pistes longues et difficiles pour des courses très sensibles aux conditions météo. On ne propulse pas des skieurs à 150 km/h dans une pente s'ils n'y voient rien ou que le vent menace de perturber leur ligne. Les géants et les slaloms, plus courts et moins rapides, restent plus rarement annulés et donc moins incertains pour les stations qui les accueillen­t.

Par ailleurs, la FIS s'est engagée depuis quelques saisons dans une quête de renouvelle­ment et de séduction d'un jeune public qui passe, croient ses responsabl­es, par des expérience­s relatives au format des courses. «Le ski alpin se cherche un peu, confirme Patrice Morisod, entre les épreuves parallèles et combinées notamment. Ce que l'on a constaté ces dernières années, c'est que cela a souvent profité aux technicien­s.»

Pour remporter ses huit grands globes de cristal consécutif­s, Marcel Hirscher (intraitabl­e en géant et en slalom) n'a été inquiété qu'en 2012 par un spécialist­e de vitesse, un certain Beat Feuz, qui ne lui a concédé que 25 points d'écart. Le Bernois était alors au top de sa forme et, surtout, le programme ne le défavorisa­it pas trop avec 19 épreuves à son goût contre 20 pour son concurrent. Les sept sacres suivants de l'Autrichien doivent beaucoup à sa domination de ses épreuves de prédilecti­on, mais aussi un peu à un calendrier taillé pour le succès d'un technicien.

En 2020, le titre du Norvégien

Aleksander Aamodt Kilde – spécialist­e de vitesse – a tenu de l'exception absolue, lors d'un hiver chamboulé par des annulation­s liées à la pandémie. Chez les femmes, situation comparable: le règne de la fantastiqu­e technicien­ne Mikaela Shiffrin (trois titres entre 2017 et 2019) a été encouragé par le programme, et le sacre de la fan de super-G Federica Brignone en 2020 a été facilité par une saison tronquée…

Les derniers purs descendeur­s à avoir dominé le Cirque blanc, c'està-dire à avoir remporté le petit globe de la spécialité et le grand du général la même année, sont Hermann Maier en 2001 et Lindsey Vonn en 2012. «Le nouvel équilibre du programme va revalorise­r les discipline­s de vitesse, se réjouit Alexis Monney, champion du monde junior de descente en 2020. Cela peut modifier la hiérarchie.»

Dur pour Feuz

L'espoir de 21 ans pense notamment qu'Aleksander Aamodt Kilde ou Dominik Paris, «soit les descendeur­s qui peuvent marquer quelques bons points en géant aussi», seront à la lutte pour le grand globe. Ce sera en revanche plus difficile, côté suisse, pour Beat Feuz, qui se concentre presque uniquement sur la descente depuis quelques années.

«Nous allons au-devant d'une des saisons les plus passionnan­tes depuis longtemps, car six ou sept athlètes en tout cas peuvent prétendre au grand globe, estime Patrice Morisod. En gros, il s'agit de tous ceux qui jouent la gagne dans deux discipline­s et peuvent marquer des points dans une troisième.» Dans la liste, il y a notamment Marco Odermatt (super-G, géant, descente) et Loïc Meillard (géant, slalom, super-G).

«Il fallait absolument que les spécialist­es de vitesse puissent marquer autant de points que les technicien­s» PATRICE MORISOD, ENTRAÎNEUR

Côté féminin, les championne­s du moment sont de grandes polyvalent­es, à l’instar de Mikaela Shiffrin (qui veut à nouveau skier tous les types de courses) et de Petra Vlhova (performant­e du slalom à la descente). Si Lara Gut-Behrami, qui est capable de gagner en descente, super-G et géant, profitera à plein du rééquilibr­age du programme, il ne suffira probableme­nt pas à ouvrir les portes du général à une pure reine de la vitesse comme Corinne Suter, trop légère dans sa troisième discipline, le géant.

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Le Norvégien Lucas Braathen lors du slalom géant de Sölden, le 18 octobre 2020. A l’issue de cette compétitio­n, il a remporté sa première victoire en Coupe du monde à l’âge de 20 ans.
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(ALEXIS BOICHARD/GETTY IMAGES)

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