Le Temps

L’effondreme­nt annoncé de la Chine…

- FRÉDÉRIC KOLLER JOURNALIST­E

Il y a vingt ans paraissait The Coming Collapse of China de Gordon Chang. Cet «effondreme­nt imminent de la Chine» devait se produire dans les cinq à dix ans. Dix ans plus tard, constatant que la Chine était toujours debout, l’auteur repoussait sa prédiction à 2012. La dernière fois qu’il s’est aventuré à pronostiqu­er une révolution en Chine c’était en 2016. Depuis, il reste persuadé que le temps lui donnera raison. Mais il ne s’aventure plus à donner de date.

Le pouvoir chinois a d’abord ignoré la prophétie, puis il a ironisé sur la date limite du livre, pour ensuite s’en emparer afin de discrédite­r les critiques du régime. Parler des échecs du parti vous valait l’étiquette infamante de «Gordon Chang». De sujet de raillerie, le titre du livre a finalement été renvoyé à l’expéditeur, ou plutôt à son pays. Pékin s’est mis à évoquer «The coming collapse of american democracy».

Lorsqu’il paraît au tournant du siècle, le livre marque les esprits. Gordon Chang n’était pas le seul à prédire la chute du Parti communiste. Ses origines sino-américaine­s et sa longue expérience en Chine pour des cabinets de consultant juridique américains l’assurent d’un statut particulie­r. Il connaît son sujet et maîtrise les deux cultures. A l’époque, on parle déjà des «mauvaises dettes» des grandes banques du pays. Le système financier chinois était soi-disant au bord du gouffre. L’analyse de Gordon Chang se focalise toutefois sur un système politique inapte à s’adapter aux lois du marché et à lutter contre la corruption: le pouvoir communiste est condamné à échouer dans sa tentative de modernisat­ion.

Cette lecture est alors dominante hors de Chine. Peu après la sortie du livre, pourtant, Pékin accède à l’OMC. Et il va se produire une transforma­tion que peu d’observateu­rs osaient envisager. L’ouverture au commerce internatio­nal dynamise l’économie sans faire trembler le régime. Le développem­ent du pays repose sur deux piliers: les investisse­ments étrangers accompagné­s de transferts technologi­ques et l’immobilier, moteur de la consommati­on intérieure. Les exportatio­ns sont la principale source de croissance. La constructi­on emploie des dizaines de millions d’ouvriers et fournit des logements décents.

Depuis un quart de siècle, la bulle immobilièr­e chinoise menace d’éclater. Depuis un quart de siècle, la croissance soutenue de la Chine a permis d’absorber les défaillanc­es de ce marché (surendette­ment, mauvaise allocation des ressources, corruption, destructio­n de l’environnem­ent). La grande question est celle du point de bascule. A partir de quel seuil le tassement de la croissance risque-t-il de mettre tout l’édifice en péril? Et c’est là qu’intervienn­ent la crise du covid (la mise à l’arrêt du commerce) et la chute d’Evergrande, l’un des plus grands groupes immobilier­s du pays.

Le système financier chinois est en mesure d’encaisser l’onde de choc d’une faillite d’Evergrande. Mais Pékin ne peut pas se permettre le risque d’une panique sociale provoquée par la perte de leurs économies de millions de propriétai­res. Evergrande sera démantelé, comme les actifs pourris des grandes banques à la fin des années 1990. On n’assiste donc pas – encore? – à une crise comparable à celle des subprimes. Mais l’endettemen­t du pays, notamment de ses collectivi­tés locales, menace sa stabilité.

C’est cette fragilité du marché immobilier chinois, couplée au vent de démondiali­sation en cours – et donc d’un recul des exportatio­ns – qui redonne de la voix, outre-Atlantique, aux fidèles de Gordon Chang. En Chine, à l’inverse, on voit une accumulati­on de signes de la faillite de la démocratie américaine. La dictature de Pékin et la démocratie de Washington pourraient coexister encore longtemps. Rien n’est écrit. Le premier de ces deux régimes qui s’effondrera, pourtant, entraînera dans ses décombres une transforma­tion systémique du monde.■

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