Merci Ruth Dreifuss
Il est rare que les ministres aient trente ans d’avance sur leur opinion publique. A son corps défendant, c’est donc un bel hommage que vient de rendre la Commission de la sécurité sociale et de la santé publique du Conseil des Etats, chambre réputée la plus conservatrice, au courage de l’ancienne présidente de la Confédération et ancienne ministre de la Santé Ruth Dreifuss. Comme son homologue du Conseil national en avril dernier, à Berne, la commission de la chambre haute souhaite lever l’interdiction du cannabis et revoir entièrement la réglementation relative à sa culture, à sa production, à son commerce et à sa consommation.
Une victoire partielle toutefois pour l’ancienne ministre de la Santé. Mais une victoire à domicile pour celle qui a initié, dès le milieu des années 1990, la politique innovatrice des quatre piliers en matière d’addiction – prévention, thérapie, aide à la survie, répression. Elle qui a présidé jusqu’à l’an dernier la Commission mondiale sur les drogues, l’organisme le plus critique envers les politiques répressives. Depuis des décennies, Ruth Dreifuss milite en effet pour une réforme en profondeur qui ne se limiterait pas uniquement à l’usage récréatif du chanvre. Une politique centrée d’abord sur la protection et le respect des personnes, sur la réduction des risques et les mesures sanitaires.
Il appartient désormais au Conseil national de légiférer afin de créer les conditions d’un marché régulé du cannabis. La Suisse s’achemine ainsi lentement vers une levée de l’interdiction de ce produit. La libération de la fumette ne sera pas totale, mais placée sous le contrôle de l’Etat. Il n’empêche, la décision d’une nette majorité de la commission – 9 voix contre 2- est bien l’aveu de l’échec de la politique d’interdiction. En Suisse 750000 joints seraient fumés chaque jour. Le nombre de consommateurs avoisine les 300000. Le marché noir générerait plus d’un demi-milliard de chiffre d’affaires. Or la Confédération dépense chaque année plus de 120 millions de francs sans parvenir à faire respecter l’interdiction.
Les sénateurs n’ont pas été soudain terrassés par une lueur apparue dans le ciel. Ils ont simplement suivi l’évolution de la société. Par essence, le parlement est toujours plus conservateur que le peuple. Un sondage publié cet été par l’OFSP indiquait que deux tiers des Suisses étaient favorables à la légalisation du cannabis mais avec un âge minimum pour la consommation de 18 ans. Principales préoccupations: limiter le marché noir et améliorer la sécurité des consommateurs.
Mais pour Ruth Dreifuss, ce n’est pas assez. «Qui peut encore croire à la possibilité d’une société sans drogues? La guerre à la drogue est un échec complet. La pression politique pour des changements plus radicaux a largement disparu», regrettait-elle lors d’une conférence en 2018. Pourtant, cette année, à Zurich, l’une des villes au monde parmi les plus consommatrices de cocaïne, le PLR local vient d’approuver un document de travail visant à terme à légaliser et réglementer la production, le commerce et la vente de toutes les drogues. Et de suggérer ainsi que les grandes villes puissent lancer des projets pilotes avec l’ensemble des substances. Il faudra certes aux libéraux zurichois bien du talent pour convaincre leur propre parti national. Mais l’idée chemine. Démontrant une fois de plus que Ruth Dreifuss avait décidément trente ans d’avance. ■
Les sénateurs n’ont pas été soudain terrassés par une lueur apparue dans le ciel