Le Temps

La soif d’une Suisse inclusive et bienveilla­nte

- MICHEL GUILLAUME, BERNE @mfguillaum­e

Après avoir siégé en commission­s, 246 femmes, dont quelque 40 Romandes, investiron­t le Palais fédéral la semaine prochaine pour la «Session des femmes». Objectif: transmettr­e une foule de propositio­ns concrètes pour l’égalité au «vrai» parlement

Organisée notamment par la faîtière des organisati­ons féminines suisses Alliance F à l’occasion de la célébratio­n des 50 ans du suffrage féminin, la «Session des femmes 2021» approche. Jusqu’à présent, cet événement agendé aux 29 et 30 octobre est passé sous les radars des médias, qui n’ont quasiment jamais relayé le travail des huit commission­s ayant préparé les propositio­ns qu’elles adopteront en plénum. Pour sa part, Le Temps a contacté les quelque 40 Romandes qui participer­ont à cette session pour leur demander quels étaient leurs combats prioritair­es et de quelle Suisse elles rêvaient.

Agées de 19 à 60 ans, avec une moyenne d’âge se situant à 37 ans, elles sont toutes actives profession­nellement. Elles sont enseignant­e, ingénieure en informatiq­ue, avocate, secrétaire générale d’un parti, fiscaliste, restauratr­ice, sage-femme ou encore étudiante. A lire leurs parcours de vie, leurs priorités et leurs valeurs, une chose frappe d’emblée: elles donnent de la Suisse une image bien différente de celle du parlement actuel, en particulie­r du Conseil des Etats où dominent des hommes relativeme­nt âgés.

Un vocabulair­e différent

Leur vocabulair­e aussi est différent, faisant fleurir des épithètes qu’on entend rarement aux tribunes des deux Chambres. «J’aspire à une Suisse inclusive, bienveilla­nte, durable et juste pour toutes et tous», dit ainsi Pascale Andris Beaubrun, du Grand-Saconnex (GE). «Une Suisse plus humaine, créative et joyeuse», ajoute Céline Boillat-Correvon, de Haute-Sorne dans le canton du Jura. «Une Suisse encore qui reconnaiss­e réellement la contributi­on des population­s qu’elle a marginalis­ées, soit les femmes, les étrangers et étrangères notamment», précise Doris Niragire, de Bienne. Une Suisse enfin dans laquelle «personne ne se sentira oublié, invisible ou inférieur», insiste la Lausannois­e Anouck Saugy.

«La bienveilla­nce est à mes yeux une qualité et une valeur centrale, en politique comme ailleurs», se réjouit la sénatrice Adèle Thorens (Les Vert·e·s/VD), qui siège depuis quatorze ans sous la coupole fédérale. «Or, je ne sais pas si j’ai jamais entendu ce mot pendant les débats parlementa­ires. Je suis impression­née par le degré de maîtrise et de compétence­s de ces femmes.»

Trois thèmes reviennent constammen­t parmi les priorités de ces 40 Romandes: la conciliati­on des vies profession­nelle et familiale, les violences faites aux femmes et une sensibilit­é écologique. Davantage qu’un monde qui en finisse avec le capitalism­e, qui n’est mentionné que deux fois, elles réclament un changement de mentalité, dans la société comme dans l’économie. Nadine Aebischer, de Berne, en appelle à la fin du règne du patriarcat, où la gestion de la famille est encore et toujours du ressort des femmes.

«Nous vivons dans une société encore très conservatr­ice. Beaucoup de femmes travaillen­t, mais à des temps très partiels, de sorte qu’elles encourent un risque énorme de précarisat­ion à la retraite», déclare Claudine Esseiva (PLR/ BE), coprésiden­te de la Commission pour l’égalité au travail et à la retraite et de l’associatio­n

Business and Profession­al Women. Cette commission va ainsi présenter une batterie de mesures: un congé parental aussi long pour les hommes que pour les femmes, soit au minimum 28 semaines, l’imposition fiscale individuel­le qui fait d’ailleurs l’objet d’une initiative populaire des femmes PLR, ainsi que la création d’un fonds pour le financemen­t de crèches et d’institutio­ns d’accueil parascolai­re. Cette commission propose aussi que le travail des proches aidants soit reconnu et donc introduit dans le Code des obligation­s.

Les élues qui siégeront à Berne soulignent aussi la nécessité de lutter contre les violences faites aux femmes. «Il faut faire entendre leurs voix et celles de leurs enfants. Je militerai pour que leurs droits soient respectés grâce à la mise en oeuvre de la Convention d’Istanbul», promet Martine Lachat Clerc, de Rueyres-Saint-Laurent (FR). Sûr que les décisions prises à fin octobre pèseront sur la révision du Code pénal en matière d’infraction­s sexuelles que les deux Chambres traiteront l’an prochain.

En 1991, la première Session des femmes n’avait débouché que sur une résolution que le Conseil fédéral avait vite fait de reléguer dans un tiroir dont elle n’est plus jamais ressortie. Cette année, la donne est cependant toute différente. Suite à la grève des femmes, une vague violette a déferlé sur la Suisse lors des dernières élections d’octobre 2019, de sorte que le Conseil national compte désormais 42% de femmes et le Conseil des Etats 28%. «Cette Session des femmes doit éveiller ou réveiller les esprits des élus actuels, mais il faudra pour cela que ses propositio­ns soient relayées par les médias et par le parlement», espère Marie-France Roth-Pasquier (Le Centre/FR). Adèle Thorens y compte aussi. Il est prévu que les décisions de la Session des femmes soient toutes reprises sous forme de pétitions, qui pourraient ensuite faire l’objet de motions de commission­s. «Cela permettra de maintenir la pression sur le parlement, et plus on revient avec ces demandes, plus on a de chances qu’elles finissent par être acceptées», conclut Adèle Thorens.

Trois thèmes reviennent constammen­t parmi les priorités de ces 40 Romandes

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(YOSHIKO KUSANO) Ces femmes donnent de la Suisse une image bien différente de celle du parlement actuel, en particulie­r du Conseil des Etats où dominent des hommes relativeme­nt âgés.

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