La soif d’une Suisse inclusive et bienveillante
Après avoir siégé en commissions, 246 femmes, dont quelque 40 Romandes, investiront le Palais fédéral la semaine prochaine pour la «Session des femmes». Objectif: transmettre une foule de propositions concrètes pour l’égalité au «vrai» parlement
Organisée notamment par la faîtière des organisations féminines suisses Alliance F à l’occasion de la célébration des 50 ans du suffrage féminin, la «Session des femmes 2021» approche. Jusqu’à présent, cet événement agendé aux 29 et 30 octobre est passé sous les radars des médias, qui n’ont quasiment jamais relayé le travail des huit commissions ayant préparé les propositions qu’elles adopteront en plénum. Pour sa part, Le Temps a contacté les quelque 40 Romandes qui participeront à cette session pour leur demander quels étaient leurs combats prioritaires et de quelle Suisse elles rêvaient.
Agées de 19 à 60 ans, avec une moyenne d’âge se situant à 37 ans, elles sont toutes actives professionnellement. Elles sont enseignante, ingénieure en informatique, avocate, secrétaire générale d’un parti, fiscaliste, restauratrice, sage-femme ou encore étudiante. A lire leurs parcours de vie, leurs priorités et leurs valeurs, une chose frappe d’emblée: elles donnent de la Suisse une image bien différente de celle du parlement actuel, en particulier du Conseil des Etats où dominent des hommes relativement âgés.
Un vocabulaire différent
Leur vocabulaire aussi est différent, faisant fleurir des épithètes qu’on entend rarement aux tribunes des deux Chambres. «J’aspire à une Suisse inclusive, bienveillante, durable et juste pour toutes et tous», dit ainsi Pascale Andris Beaubrun, du Grand-Saconnex (GE). «Une Suisse plus humaine, créative et joyeuse», ajoute Céline Boillat-Correvon, de Haute-Sorne dans le canton du Jura. «Une Suisse encore qui reconnaisse réellement la contribution des populations qu’elle a marginalisées, soit les femmes, les étrangers et étrangères notamment», précise Doris Niragire, de Bienne. Une Suisse enfin dans laquelle «personne ne se sentira oublié, invisible ou inférieur», insiste la Lausannoise Anouck Saugy.
«La bienveillance est à mes yeux une qualité et une valeur centrale, en politique comme ailleurs», se réjouit la sénatrice Adèle Thorens (Les Vert·e·s/VD), qui siège depuis quatorze ans sous la coupole fédérale. «Or, je ne sais pas si j’ai jamais entendu ce mot pendant les débats parlementaires. Je suis impressionnée par le degré de maîtrise et de compétences de ces femmes.»
Trois thèmes reviennent constamment parmi les priorités de ces 40 Romandes: la conciliation des vies professionnelle et familiale, les violences faites aux femmes et une sensibilité écologique. Davantage qu’un monde qui en finisse avec le capitalisme, qui n’est mentionné que deux fois, elles réclament un changement de mentalité, dans la société comme dans l’économie. Nadine Aebischer, de Berne, en appelle à la fin du règne du patriarcat, où la gestion de la famille est encore et toujours du ressort des femmes.
«Nous vivons dans une société encore très conservatrice. Beaucoup de femmes travaillent, mais à des temps très partiels, de sorte qu’elles encourent un risque énorme de précarisation à la retraite», déclare Claudine Esseiva (PLR/ BE), coprésidente de la Commission pour l’égalité au travail et à la retraite et de l’association
Business and Professional Women. Cette commission va ainsi présenter une batterie de mesures: un congé parental aussi long pour les hommes que pour les femmes, soit au minimum 28 semaines, l’imposition fiscale individuelle qui fait d’ailleurs l’objet d’une initiative populaire des femmes PLR, ainsi que la création d’un fonds pour le financement de crèches et d’institutions d’accueil parascolaire. Cette commission propose aussi que le travail des proches aidants soit reconnu et donc introduit dans le Code des obligations.
Les élues qui siégeront à Berne soulignent aussi la nécessité de lutter contre les violences faites aux femmes. «Il faut faire entendre leurs voix et celles de leurs enfants. Je militerai pour que leurs droits soient respectés grâce à la mise en oeuvre de la Convention d’Istanbul», promet Martine Lachat Clerc, de Rueyres-Saint-Laurent (FR). Sûr que les décisions prises à fin octobre pèseront sur la révision du Code pénal en matière d’infractions sexuelles que les deux Chambres traiteront l’an prochain.
En 1991, la première Session des femmes n’avait débouché que sur une résolution que le Conseil fédéral avait vite fait de reléguer dans un tiroir dont elle n’est plus jamais ressortie. Cette année, la donne est cependant toute différente. Suite à la grève des femmes, une vague violette a déferlé sur la Suisse lors des dernières élections d’octobre 2019, de sorte que le Conseil national compte désormais 42% de femmes et le Conseil des Etats 28%. «Cette Session des femmes doit éveiller ou réveiller les esprits des élus actuels, mais il faudra pour cela que ses propositions soient relayées par les médias et par le parlement», espère Marie-France Roth-Pasquier (Le Centre/FR). Adèle Thorens y compte aussi. Il est prévu que les décisions de la Session des femmes soient toutes reprises sous forme de pétitions, qui pourraient ensuite faire l’objet de motions de commissions. «Cela permettra de maintenir la pression sur le parlement, et plus on revient avec ces demandes, plus on a de chances qu’elles finissent par être acceptées», conclut Adèle Thorens.
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Trois thèmes reviennent constamment parmi les priorités de ces 40 Romandes