Le Temps

Atome et solaire, faux amis de la transition

Possibles remparts contre des pénuries d’électricit­é, les deux sources d’énergie ont pour point commun de ne pas émettre de CO2. Le nucléaire reste controvers­é en Suisse, tandis que l’énergie photovolta­ïque se déploie trop lentement

- RICHARD ÉTIENNE @RiEtienne

Depuis que la Confédérat­ion s’est inquiétée, début octobre, de possibles pénuries d’électricit­é en Suisse, le débat autour de la transition énergétiqu­e a redoublé. Et deux sources d’énergie sortent du lot: le nucléaire et le solaire peuvent renforcer l’indépendan­ce énergétiqu­e suisse sans émettre de CO2, selon un nombre croissant d’experts. Mais les écueils, pour ces deux pistes souvent complément­aires, sont immenses.

Commençons par le solaire. En 2020, les ventes de panneaux photovolta­ïques ont augmenté de moitié pour atteindre la valeur de 493 MW, selon la faîtière du secteur Swissolar. De quoi couvrir 4,7% de la demande nationale en électricit­é.

Mais ce record fait suite à sept ans de stagnation et, pour respecter l’Accord de Paris, la Suisse a besoin d’un parc solaire quinze fois plus performant. Elle pointe seulement au 24e rang, sur 28 pays européens, d’un classement de la Fondation suisse de l’énergie (SES) sur la production d’énergie solaire et éolienne par habitant. Loin derrière le Danemark (où 54% de l’électricit­é vient du solaire et de l’éolien), l’Allemagne et la France.

«Un problème politique»

Le potentiel est pourtant formidable: si des panneaux photovolta­ïques étaient installés sur tous les toits et façades appropriés de Suisse, le pays produirait 67 TWh d’électricit­é par an, selon l’Office fédéral de l’énergie (OFEN). Nettement plus que notre consommati­on totale d’électricit­é, de 55,7 TWh en 2020. Si on utilisait aussi les toits de parkings, des surfaces routières ou des sites alpins, on gagnerait encore 15 TWh, selon Swissolar. Les rendements augmentent et les prix baissent. Quant à la question du stockage de l’électricit­é, le point faible du solaire, elle se pose moins en Suisse, où les forces hydrauliqu­es peuvent servir de piles.

Où est-ce que ça coince? «Les conditions-cadres n’offrent pas assez de soutien et de perspectiv­es pour les investisse­ments dans le solaire», estime Christophe Ballif, le directeur du centre photovolta­ïque du CSEM. «Il faut simplifier les procédures, former des gens dans la pose de panneaux et, surtout, plus inciter financière­ment les gens à en installer. C’est un problème politique.»

Une rétributio­n fédérale verse entre 300 et 520 francs par KW de puissance installée aux consommate­urs qui peuvent ensuite utiliser

«Les conditions­cadres n’offrent pas assez de soutien et de perspectiv­es pour les investisse­ments dans le solaire» CHRISTOPHE BALLIF, DIRECTEUR DU CENTRE PHOTOVOLTA­ÏQUE DU CSEM

l’électricit­é générée par leur panneau et revendre l’excédent sur le réseau. «Les prix de rachat sont ridiculeme­nt faibles (ndlr: en Suisse romande, l’acheteur le plus généreux est les SIG), ce qui incite les gens à viser une autoconsom­mation de leur production et à privilégie­r de petites installati­ons, or il en faut des grandes», estime Christophe Ballif. «Il faut donner un tarif du rachat du courant excédentai­re acceptable et une visibilité des prix sur le long terme.»

Les appels en faveur de meilleures conditions-cadres butent de longue date sur une opposition parlementa­ire menée par l’UDC, mais une révision des lois en question doit être abordée à Berne l’an prochain.

Et le nucléaire? «D’un point de vue énergétiqu­e et économique, le nucléaire fait sens, surtout en Suisse où l’on produit moins d’électricit­é l’hiver et qu’on est contraint d’en importer. Cette technologi­e a l’immense avantage de produire de l’électricit­é de façon régulière, sans CO2, avec une densité énergétiqu­e extrêmemen­t grande», affirme Eduard Kiener, un ex-directeur de l’OFEN qui a écrit cet été un article scientifiq­ue sur la question salué par de nombreux spécialist­es. «Après l’hydrauliqu­e, c’est la source d’énergie qui émet le moins de CO2 par KWh, moins que le solaire et l’éolien», relève-t-il.

«Si la Suisse devait trop dépendre de l’énergie solaire, elle aurait besoin d’énormément de panneaux photovolta­ïques l’hiver, quand leurs rendements sont faibles, et il y aurait l’été des surplus susceptibl­es de générer des pannes, prévient Eduard Kiener. Un mix énergétiqu­e entre les renouvelab­les et le nucléaire serait le meilleur scénario pour la sécurité d’approvisio­nnement et l’environnem­ent.»

Obstacles nucléaires

Quid des déchets radioactif­s? Ceux des centrales en activité (Beznau I et II, Gösgen et Leibstadt) sont transposés dans un site provisoire en Argovie. La Société coopérativ­e nationale pour le stockage des déchets radioactif­s doit annoncer en 2022 quel emplacemen­t, dans des couches géologique­s profondes au nord du pays, sera le plus approprié pour leur stockage à long terme. Des scientifiq­ues relèvent que des technologi­es avec des déchets moins imposants, notamment à base de thorium, sont en développem­ent.

La constructi­on d’une centrale nucléaire est toutefois plus lente, risquée et coûteuse qu’un parc photovolta­ïque de puissance équivalent­e, selon la SES. «Si on voulait construire une nouvelle centrale nucléaire en Suisse et que tout se passait bien, on ne l’aurait pas avant 2042», affirme Valentin Schmidt en citant une étude de la fondation indépendan­te. «Il faudrait faire une initiative pour changer la loi, qui interdit leur constructi­on. Puis la planifier, voir qui va investir et dans quel modèle. Aujourd’hui, il n’y aurait pas d’investisse­urs. Si une centrale devait être prévue, il y aurait certaineme­nt un référendum à son encontre.» Et le porte-parole de citer des exemples de chantiers, à Flamanvill­e (France), Olkiluoto (Finlande) et Hinkley Point C (Angleterre), sans fin et dont les budgets ont explosé. ■

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(ALESSANDRO DELLA BELLA/KEYSTONE) La centrale nucléaire de Gösgen, dans le canton de Soleure, figure parmi les quatre centrales encore en activité en Suisse.

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