Zurich, erreur sur la taille suisse d’un géant
ASSURANCE Zurich Insurance est un leader dans son domaine. C’est le troisième assureur en Europe et le deuxième au plan mondial dans l’assurance d’entreprises. Pourtant ses activités suisses sont peu connues. Sont-elles imperméables au dynamisme affiché à
Ces virages stratégiques qui se dessinent, ces initiatives qui changent les modèles d’affaires, ces enjeux qui appellent à l’innovation… Deux fois par mois, «Le Temps» s’intéresse à la vie des entreprises suisses telle qu’on ne la perçoit pas de prime abord.
Zurich Insurance est un géant de l’assurance. Il est le deuxième plus grand groupe mondial dans l’assurance d’entreprises et le troisième assureur européen derrière Axa et Allianz. Il est même au sixième rang dans l’assurance individuelle sur le plus grand marché du monde, celui des Etats-Unis. Mais en Suisse ce n’est pas vraiment un leader. Peut-il se contenter d’être un Petit Poucet dans la petite Suisse en se profilant comme un géant du risque dans le reste du monde?
La multinationale livre très peu d’informations sur son marché domestique. «Les investisseurs concentrent leur regard surtout sur les affaires globales de Zurich Insurance. Les activités suisses sont d’ailleurs très peu connues. Le rapport de gestion précise uniquement le total des primes vie (1,2 milliard de dollars) et non-vie (3,3 milliards de dollars)», indique Simon Foessmeier, analyste auprès de la Banque Vontobel.
Pour évaluer sa véritable position en Suisse, nous nous sommes plongés dans les rapports annuels disponibles, ceux de l’assureur et des autorités de surveillance, à la Finma, et nous avons rencontré la direction de l’entité suisse.
Les surprises sont nombreuses sur la voie d’une meilleure compréhension du groupe. Même la localisation des sièges internationaux et suisse est étonnante. Le siège du groupe et des affaires internationales, flambant neuf, est érigé au centre-ville de Zurich tandis que la tour qui abrite les activités suisses se situe aux abords de l’aéroport, à Oerlikon.
Des rapports incomplets
Le rapport annuel 2020 de l’assureur offre de premières informations utiles sur la répartition géographique de ses affaires. Le plus américain des assureurs suisses y mentionne que 54% de son bénéfice d’exploitation de 4,2 milliards de dollars (pour 48 milliards de dollars de revenus) provient d’Amérique du Nord, contre moins d’un tiers pour la région EMEA (Europe, Moyen-Orient et Afrique).
Si l’on veut évaluer sa réelle importance en Suisse, le rapport 2021 des autorités de la Finma est habituellement une bonne source. Il y est écrit que Zurich Suisse ne serait que sixième dans l’assurance vie et troisième dans l’assurance dommages. La part de marché de Zurich Life est limitée à 5,6% en 2020. Elle ne subit pas une cure d’amaigrissement. Le pourcentage est identique à celui de 2010. La part de marché des activités non-vie est, elle, en train de diminuer. Elle atteint 14,7%, contre 15,9% en 2010. Pourquoi le dynamisme du groupe aux Etats-Unis ne se traduit-il pas par une meilleure position en Suisse? Ne parvient-il pas à importer dans la Confédération les meilleures idées du premier marché du monde?
L’étude des rapports officiels de la Finma «ne présente pas toute la réalité», si l’on en croit Sandro Meyer, directeur de Zurich Life. Nous rencontrons ce dernier à Oerlikon, dans son bureau orné d’innombrables photos souvenirs et du maillot de l’équipe suisse de hockey.
Sandro Meyer connaît aussi bien le marché suisse, qu’il dirige, que celui des Etats-Unis, fort de son séjour de quatre ans à Chicago (ainsi que trois ans pour ses études). Depuis 28 ans au sein du groupe, il dirige l’assurance vie collective depuis 2010, l’assurance vie individuelle depuis 2016 et l’ensemble des activités vie en Suisse depuis 2018.
«Les chiffres de la Finma ne prennent pas en compte des pans majeurs de nos activités», déclaret-il. Ils se contentent de mesurer les primes mais oublient les actifs gérés. «Si l’on évaluait la taille de Zurich Life non seulement à l’aune des primes mais aussi du nombre d’assurés et des actifs sous gestion, elle serait troisième ou quatrième dans l’assurance vie suisse», révèle Sandro Meyer. Les fonds placés auprès du modèle de prévoyance Vita Classic atteignent par exemple 17 milliards de francs et ne sont pas inscrits dans les statistiques de la Finma.
La stratégie et la culture d’entreprise ne peuvent être appréhendées sans se pencher sur un événement clé survenu en 2004. Zurich Insurance a été, cette année-là, la première assurance suisse à quitter le modèle d’assurance dit complète dans la prévoyance professionnelle. Ce dernier garantit non seulement les risques de vie et d’invalidité mais aussi le rendement des placements. La raison de cette décision était simple: «Nous n’aimons pas les garanties. Elles ne répondent pas à leurs promesses. Et elles ont toujours un coût dans la mesure où elles limitent le potentiel de hausse», note Sandro Meyer.
A la suite du départ de Zurich Suisse, de nombreux autres assureurs ont quitté ce modèle. Il n’en reste plus que cinq à lui faire confiance, à savoir Swiss Life, Helvetia, Bâloise, Pax, Allianz. Conséquence de cet acte, le groupe a d’abord perdu des revenus, mais «la croissance qui est intervenue à partir de 2010 a largement compensé les pertes de marché initiales», avoue Sandro Meyer. Lors du passage au modèle d’assurance semi-autonome, qui protège contre les risques d’invalidité et de décès mais pas des placements, Zurich Life a déplacé ses activités dans quatre fondations dont le nom débute par Vita. Cette entité fait partie des leaders de ce marché derrière Axa et devant Asga et
Swisscanto, si l’on en croit la faîtière Interpension.
«Absolument de la folie»
L’identification des leaders de l’ensemble du marché suisse de la prévoyance peut être dévoilée en se plongeant dans d’autres rapports, ceux de l’Office fédéral des statistiques (OFS). Ils indiquent qu’en termes de nombre d’assurés dans la prévoyance professionnelle, Swiss Life pointe au premier rang devant Axa, Zurich et Helvetia. Les viennent-ensuite sont peu connus du public, à l’image d’Asga, à SaintGall, la plus ancienne institution de prévoyance du pays.
La prévoyance conserve un fort potentiel, selon Sandro Meyer: «Le 2e pilier souffre toutefois d’un effet de redistribution au détriment des jeunes. La moitié du rendement est aujourd’hui redistribuée au profit des retraités à cause des garanties et du taux de conversion de 6,8%», note-t-il.
Les perspectives du marché de la prévoyance sont mises en lumière par un sondage réalisé en mai par l’institut Sotomo. Il en ressort que la moitié des Suisses ne sont pas conscients de posséder un avoir de vieillesse. «C’est absolument de la folie», déclare Sandro Meyer. Ce dernier en déduit un fort besoin d’informations afin, par exemple, de souligner la redistribution qui existe en Suisse entre jeunes et vieux. «Les jeunes doivent comprendre que les garanties n’apportent pas ce qu’elles promettent. Elles amènent de la sécurité mais à un coût exorbitant», lance-t-il. Mieux vaut de la volatilité et un fort potentiel à long terme, conclut-il.
L’apport américain
Pour économiser ses fonds propres et lisser les résultats, Zurich accroît progressivement la part de ses activités de commissions. Ces dernières ont l’avantage de ne pas dépendre de l’évolution des taux d’intérêt. En réalité, cette stratégie est née avec l’acquisition de Farmers aux Etats-Unis, en 1998. Farmers, basé sur un réseau d’agents, appartenait alors à British American Financial Services BAFS, le bras financier du groupe de tabac BAT.
Le but de Zurich Insurance, à travers ce rachat, était de s’ouvrir le marché de l’assurance de particuliers aux Etats-Unis. La marque Zurich était déjà très connue dans l’assurance d’entreprises, en tant que numéro deux, mais c’est avec Farmers que le groupe est véritablement entré dans l’assurance individuelle américaine. Le modèle Farmers est toutefois particulier: la société appartient à ses clients et Zurich Insurance est rémunéré par les commissions à ce réseau d’agents. Un tel modèle n’existe pas en Suisse.
«Les jeunes doivent comprendre que les garanties [de rendement] n’apportent pas ce qu’elles promettent. Elles amènent de la sécurité, mais à un coût exorbitant» SANDRO MEYER, DIRECTEUR DE ZURICH LIFE
«Le marketing et le court terme jouent un rôle considérable aux Etats-Unis, alors que la Suisse accorde la priorité à la qualité, laquelle a un prix» SANDRO MEYER, DIRECTEUR DE ZURICH LIFE
L’acquisition de Farmers a permis à Zurich de mettre en exergue le dynamisme du marché américain par rapport au suisse, de l’avis de Sandro Meyer. Le salaire y est par exemple versé tous les 14 jours. Les primes sont mensuelles ou trimestrielles et non annuelles. Elles changent beaucoup plus souvent. «En Suisse, nous sommes très différents. Je ne suis pas sûr que les leçons de dynamisme du marché américain nous font beaucoup avancer», commente le dirigeant. La culture est autre. «Le marketing et le court terme jouent un rôle considérable aux Etats-Unis, alors que la Suisse accorde la priorité à la qualité, laquelle a un prix», indique le directeur.
Sur le marché local, Zurich Suisse privilégie trois à cinq branches d’activité. «Nous sommes très clairement numéro un dans les affaires commerciales (couverture des risques industriels) avec une part de marché importante auprès des grands groupes industriels internationaux, qu’il s’agisse des programmes choses ou responsabilité civile», déclare Sandro Meyer. Cette stratégie s’appuie sur sa présence dans 200 pays et permet de gérer les couvertures non-vie. Si une multinationale suisse assure sa flotte de voitures aux Etats-Unis, elle l’assure par exemple en Suisse auprès de Zurich Insurance.
Le groupe est en phase de numérisation de ses services, mais il continue de faire confiance au conseil personnalisé à travers les 1100 conseillers pour 55 agences générales. L’assureur suisse n’est de loin pas si petit qu’il n’y paraît dans les rapports officiels.
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