Le Temps

«Ses chansons ont des vertus vaccinales!»

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Brassens m’a ravi à l’âge de 18 ans. Tout me parlait: l’anarchiste de La Mauvaise Herbe, le pote des Copains d’abord, les amours fugaces des Passantes.

Et pour guérir des ruptures, je chantais P. de toi ou Misogynie à part. Il ne m’a plus quitté. Mon examen de licence de Lettres à Lausanne, avec le professeur André Wyss, portait sur un corpus de 143 de ses chansons (j’étais tombé sur Vénus callipyge à l’examen oral). J’ai enseigné sa poésie au Gymnase de Burier (VD), bien obligé de faire compter les syllabes et souligner les figures de style. A La Coquette, bar éphémère géré avec des amis à Morges, on a programmé le duo lausannois Georges Encore et le groupe valaisan Les Pornograph­es…

Au début de la pandémie, alors qu’on ne pouvait être plus de quatre par table au bistrot, j’aimais chanter: «Le pluriel ne vaut rien à l’homme et sitôt qu’on/est plus de quatre, on est une bande de cons»… Des chansons comme La Mauvaise Réputation, Le temps ne fait rien à l’affaire ou Mourir pour des idées ont de vraies vertus vaccinales! Aujourd’hui, j’aime surtout le fait qu’il ait vécu à hauteur des paroles qu’il chantait, tournant le dos à la consommati­on, au show-business, militant simplement au quotidien dans son improbable collocatio­n de l’impasse Florimont.

Sur scène aussi, le regarder me fait regretter ses prestation­s scéniques à taille humaine, sans effets techniques. Il aimait dire: «Quand tu chantes une chanson à un copain, il n’y a pas 40 violons cachés dans le placard»… Avec ses airs d’ours pris au piège, en restant ce monstre de tendresse pudiquemen­t planqué derrière une guitare, une moustache, il parvenait à faire passer en contreband­e une poésie aussi exigeante qu’efficace.

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