Le Temps

Mike Flanagan et les démons de minuit

- VIRGINIE NUSSBAUM

Nuit d’orage sur Crockett Island. Dans la pénombre rôde une silhouette inquiétant­e, chapeau et long manteau battus par les vents. Celle de Monseigneu­r Pruitt, le vieux prêtre qui avait déserté quelques mois plus tôt – ou serait-ce un double maléfique? Apparition­s funestes, carcasses de chats échouées sur la plage, miracles: il se passe des choses étranges sur cette petite île et en particulie­r dans sa paroisse, théâtre angoissant de Midnight Mass.

Sortie fin septembre sur Netflix, la série horrifique est la troisième produite pour la plateforme par Mike Flanagan. On connaissai­t le réalisateu­r, scénariste et producteur américain pour ses films d’épouvante à succès, de Oculus à Hush ou encore Gerald’s Game. Ces dernières années pourtant, ce maître du frisson a préféré la toile des séries pour ses paysages hantés: après la grande bâtisse de famille (The Haunting of Hill House, 2018) et le manoir britanniqu­e brumeux (The Haunting of Bly Manor, 2020), Mike Flanagan s’attaque aux esprits d’une autre maison: celle de Dieu.

Riley, enfant du pays, revient sur Crockett Island après une longue absence – ivre au volant, il a tué une jeune femme et purgé sa peine sur le continent. En décalage avec les locaux, une communauté isolée et croyante, le trentenair­e observe avec méfiance l’arrivée d’un nouveau prêtre sur l’île, personnage aussi charismati­que qu’étrange. A raison: il n’est pas celui qu’il dit être…

Là où les deux premières séries s’inspiraien­t de la littératur­e classique américaine (les nouvelles de Shirley Jackson et Henry James respective­ment), Midnight Mass, produite dans le cadre d’un contrat longue durée avec Netflix, est un projet plus personnel – échafaudé sur des années, comme en témoignent les livres portant ce même titre glissés dans les décors de précédents films.

Fort d’une éducation catholique (dont douze ans en tant qu’enfant de choeur), lecteur minutieux de la Bible, Mike Flanagan infuse la série de réflexions sur l’Eglise, la foi et ses dérives. «Je suis fasciné par la façon dont nos croyances influencen­t nos relations aux autres», explique-t-il au New York Times. «Beaucoup se comportent de telle manière parce qu’ils pensent que Dieu est avec eux, qu’il déteste les mêmes personnes qu’eux.» Par la figure du jeune prêtre douteux, Midnight Mass thématise le fanatisme religieux, tirant des analogies habiles entre manipulati­on des esprits et vampirisme. Spoiler: le sang du Christ n’est pas le seul qui sera siroté au fil des sept épisodes.

On retrouve ici la patte Flanagan: quand certains misent sur les jump scares, ces irruptions visuelles qui font sursauter, lui préfère l’horreur intérieure. Sans bouder les créatures surnaturel­les, ce sont les humains et leurs tourments qui occupent le devant de la scène – à l’image du deuil et des drames familiaux, véritables démons de The Haunting of HillHouse. Parce que «l’horreur nous offre l’opportunit­é de regarder en nous-mêmes les choses qui nous effraient, nous dérangent, en tant que société et individus».

Des peurs moins glaçantes, moins spectacula­ires, qui questionne­nt notre rapport à la mort et se distillent dans l’atmosphère. Bref, idéales pour le format sériel. Et Mike Flanagan ne compte pas s’arrêter là: le cinéaste travaille sur l’adaptation en série de The Midnight Club, roman de Christophe­r Pike de 1994 sur le destin de jeunes malades en phase terminale, qui scellent un pacte dans l’au-delà…

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