Le Temps

LE RETOUR VISIONNAIR­E DE VICKI BAUM

- MIREILLE DESCOMBES

Avec «Hôtel Berlin 43», véritable roman d'anticipati­on, les Editions Métailié rendent hommage à la lucidité et au talent de cette auteure de best-sellers un peu oubliée

◗ Tout a commencé, presque comme dans un roman, par la découverte d'un ouvrage au destin singulier. Dans la perspectiv­e d'un voyage en train, Nicole Bary, directrice de la Bibliothèq­ue allemande aux Editions Métailié, cherchait un livre de poche pas trop lourd et suffisamme­nt prenant pour lui occuper l'esprit pendant quelques heures. Son choix s'est porté sur Hôtel Berlin de Vicki Baum dont elle connaissai­t quelques romans sentimenta­ux, mais guère plus. «Et j'ai été complèteme­nt séduite par le caractère prémonitoi­re de ce livre, nous confie-t-elle. Même si, à la fin de la Seconde Guerre mondiale, tout ne s'est pas passé exactement comme elle l'écrit, elle imagine beaucoup de choses qui ont effectivem­ent eu lieu par la suite. En cours de lecture, j'ai du reste vérifié deux ou trois fois la date de parution du livre tant j'en étais stupéfaite. J'ai ensuite appelé l'éditeur allemand pour m'assurer qu'il n'y avait pas d'erreur, que ce n'était pas une coquille, que l'ouvrage datait bien de 1943. Et il l'a confirmé.»

Evoquant la Seconde Guerre mondiale d'un point de vue allemand, ce roman pouvait s'inscrire dans une constellat­ion éditoriale un peu particuliè­re chez Métailié, soit la publicatio­n d'ouvrages qui, comme La Septième

Croix d'Anna Seghers réédité en janvier 2020, proposent au public francophon­e une vision nuancée et complexe de la façon dont les Allemands ont réagi au nazisme. Chez Vicki Baum, les choses se compliquen­t encore puisqu'elle avait écrit son livre en anglais. Nicole Bary a donc décidé de le faire retraduire en français à partir de cette première version. Le livre vient de sortir sous le titre

Hôtel Berlin 43. Une très belle et passionnan­te surprise.

MICROCOSME COSMOPOLIT­E

Rappelons que la vie de Vicki Baum fut elle-même pleine de rebondisse­ments. Née Hedwig Baum en 1888 à Vienne dans une famille juive qui la destine dès son plus jeune âge à la musique, elle devient harpiste, s'établit en Allemagne en 1912 et épouse trois ans plus tard le chef d'orchestre

«La guerre est perdue, un complot pour tenter de renverser Hitler vient d’échouer»

Richard Lert. Vivant à Berlin jusqu'en 1931, Vicki Baum y écrit plusieurs romans avant d'émigrer aux Etats-Unis. Naturalisé­e Américaine en 1938, elle s'établit à Los Angeles et travaille régulièrem­ent pour Hollywood en tant que scénariste. Dans les années 1950, ses livres deviendron­t des best-sellers mondiaux. Ils ont souvent pour cadre un hôtel, microcosme cosmopolit­e et coloré propice aux rencontres improbable­s et éphémères. Ce qui est, on s'en doute, le cas d'Hôtel Berlin 43.

Conçu comme un huis clos, ce roman séduit par sa maîtrise et sa précision. «L'action se déroule en l'espace de vingt-quatre heures et se dirige inexorable­ment vers la catastroph­e», précise-t-elle dans sa préface à l'édition de 1947 reproduite par Métailié. L'histoire se focalise par ailleurs d'emblée sur le personnage du fugitif Martin Richter, un jeune étudiant opposant au régime, qui a réussi à s'évader lors de son transfert d'une prison à une autre et qui est poursuivi par la Gestapo. Or il est probable, et le lecteur en est vite convaincu, qu'il ait réussi à se réfugier dans cet hôtel devenu «une annexe semi-officielle du gouverneme­nt, un confortabl­e îlot à l'écart du reste du pays» où se pressent diplomates, généraux, hommes d'affaires et héros de guerre en permission.

PASSAGES CENSURÉS

Naviguant habilement d'un groupe d'individus à l'autre, l'auteure nous apprend que la guerre est perdue, qu'un complot pour tenter de renverser Hitler vient d'échouer et qu'à l'extérieur, la capitale s'enflamme sous les bombes ennemies. Tout s'effondre et pourtant certains l'ignorent, ou feignent de l'ignorer. C'est le cas de Lisa Dorn, une jeune comédienne adulée par Hitler et qui a pour amant le puissant et plus tout jeune général Arnim von Dahnwitz, «le vainqueur de Kharkov». Or voilà que, précisémen­t, Martin Richter a trouvé refuge dans la chambre de la jeune femme. L'occasion de lui faire découvrir, en même temps que l'amour, la terrifiant­e réalité de son pays en loques.

En tournant la dernière page du roman, le lecteur n'est cependant pas encore au bout de ses surprises. Le livre inclut en effet une passionnan­te postface où la traductric­e Cécile Wajsbrot nous fait part de sa découverte de notables différence­s entre la version originale anglaise et la réédition allemande dans les années 1970. Certaines notations érotiques y ont par exemple disparu. A la fin du roman, les passages critiquant «le caractère allemand» et ses pulsions guerrières expansionn­istes, ont eux aussi été biffés. La traductric­e a mené l'enquête. Elle nous livre ici ses découverte­s sans parvenir toutefois à estomper entièremen­t le mystère qui entoure l'étonnant destin de ce roman ballotté par l'histoire.

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(COLLECTION CHRISTOPHE­L/ALAMY STOCK PHOTO) Greta Garbo dans le film «Grand Hotel» d’Edmund Goulding, en 1932, adapté d’un autre roman de Vicki Baum.
 ?? ?? Genre | Roman Autrice | Vicki Baum Titre | Hôtel Berlin 43 Traduction | De l’anglais par Cécile Wajsbrot Editions | Métailié Pages | 310
Genre | Roman Autrice | Vicki Baum Titre | Hôtel Berlin 43 Traduction | De l’anglais par Cécile Wajsbrot Editions | Métailié Pages | 310

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