Le Temps

Au Liban, le pari réaliste de la «contestati­on»

- LUIS LEMA @luislema

Il y a deux ans, la capitale avait été à moitié détruite par une explosion due, dans le meilleur des scénarios, à l’incurie et à l’irresponsa­bilité des dirigeants. Entre-temps, le pays entier a plongé dans une crise économique sans fond, le système bancaire s’est effondré, la monnaie locale ne vaut plus rien, la mauvaise gestion, la corruption, l’opacité, voire les mensonges et les intimidati­ons sont omniprésen­ts. Dans tout autre pays un tant soit peu démocratiq­ue, on s’attendrait à ce qu’un tel désastre débouche sur une énorme gifle électorale contre une classe politique si manifestem­ent incapable. Mais nous sommes au Liban et rien de tel, sans doute, n’arrivera.

Les Libanais sont, enfin, appelés aux urnes ce dimanche. Dans ce système politique profondéme­nt bloqué, le pouvoir se partage parmi les différente­s communauté­s religieuse­s, laissant en place une caste politique qui gère le pays comme s’il s’agissait d’une affaire purement privée. Tout au plus, ces divers potentats ont-ils dû en rajouter dans leurs méthodes traditionn­elles, utilisant le clientélis­me et l’achat de voix de manière pratiqueme­nt publique lors de la campagne actuelle. La pauvreté est désormais généralisé­e dans le pays, et recevoir d’un candidat une poignée de billets contre son vote constitue un geste beaucoup plus rationnel que de miser sur d’hypothétiq­ues changement­s politiques à long terme, en optant pour un candidat réformateu­r mais honnête.

L’opposition sait parfaiteme­nt tout cela. L’opposition? Elle existe, de fait, et concentre en son sein une bonne partie des forces qui restent encore vives, malgré la débâcle générale. Ces forces de la «contestati­on» peuvent espérer obtenir une dizaine de députés sur les 128 que compte le parlement. En apparence, nous sommes pour l’instant bien plus près d’un clapotis que d’un raz-de-marée.

Emiettée dans de multiples listes électorale­s distinctes, manquant cruellemen­t de figures rassembleu­ses, la «contestati­on» s’est résignée à jouer le jeu, tout en sachant que les dés étaient pipés. C’est par principe qu’elle refuse de s’ériger en un parti comme les autres; par idéal qu’elle prône la consultati­on et le travail de terrain auprès des Libanais; par nécessité qu’elle a accepté de s’inscrire dans un cadre électoral taillé sur mesure pour garantir l’immobilism­e de ce système confession­nel.

La loi, la justice, les puissances régionales ou l’Occident, dont la France, ancienne puissance mandataire… tous ont collective­ment failli au Liban. L’opposition n’en attend plus rien. Elle dit compter sur le temps, sur l’endurance et sur l’apport de la jeunesse pour changer le système de l’intérieur, patiemment, fragment par fragment. Le temps presse pourtant et le pays se vide. Bientôt, il ne restera aux Libanais plus grand-chose à sauver.

Le temps presse, et le pays se vide

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