F-35: les passes d’armes se poursuivent
Alors que la conseillère fédérale Viola Amherd rend visite au fabricant américain, le débat ne faiblit pas entre parlementaires fédéraux sur le bien-fondé de l’avion de chasse
Retard de trois ans. Finalisation en 2029. Le nouveau standard block 4 (variante la plus moderne – un peu comme pour un smartphone) de l’avion de combat F-35A, sélectionné à 36 exemplaires par le Conseil fédéral pour 6,035 milliards, se fait attendre. La nouvelle vaut son pesant d’intérêt pour l’armée suisse, qui prévoit de réceptionner des jets munis de ce même block 4 dès 2027. Le jet choisi par la ministre de la Défense, Viola Amherd, est-il le bon? Interviews croisées d’un opposant, le conseiller national socialiste Pierre-Alain Fridez (JU), et d’un partisan, le conseiller national vert’libéral François Pointet (VD).
Pierre-Alain Fridez (PS/JU), opposant Le F-35 connaît des retards de développement et des augmentations de coûts. Mais n’est-ce pas le propre de tout avion de combat?
Le vrai problème, c’est que depuis des années on annonce le pire aux Etats-Unis concernant cet avion, sous la forme de retards et de dépassements de coûts, mais qu’en Suisse on ferme les yeux sur les mauvaises expériences faites dans d’autres pays.
A terme, la flotte de F-35 doit s’élever à quelque 3000 appareils dans le monde. N’est-ce pas une garantie de baisse des frais d’entretien?
Théoriquement oui. Le problème, c’est que ces 3000 avions correspondent à trois variantes différentes (F-35A, B et C), et que le F-35A en comptera donc moins. En outre, le Government Accountability Office (GAO, contrôle des finances américain) parle de la possibilité de réduire la flotte américaine de moitié en raison des coûts prohibitifs. Aujourd’hui, il n’est pas exclu que les Américains cassent les prix au départ pour trouver des pays participant au développement. Mais c’est l’entretien sur le long terme qui est très cher. La furtivité de l’appareil augmente les frais, car la surface de l’appareil doit être maintenue en continu en condition optimale.
L’Allemagne envisage d’acheter des F-35. N’est-ce pas le signe qu’il faut en faire de même?
Je peux comprendre l’attitude allemande. Dans le contexte actuel, Berlin doit se profiler et montrer qu’elle peut prêter main-forte à l’OTAN en cas de guerre contre un adversaire extérieur. Les Allemands, qui possèdent déjà d’autres avions pour leur police du ciel, ont besoin d’un avion comme le F-35 servant à faire la guerre et à lâcher des bombes nucléaires, et pas d’un jet multirôle comme la Suisse, qui serait mieux indiqué pour la police aérienne.
Le F-35 est choisi par plusieurs pays de l’OTAN. Ne faut-il pas veiller à rendre nos forces aériennes plus compatibles, «interopérables», avec leurs armées?
Il faut être clair. Acheter le F-35, c’est entrer dans l’OTAN: cela permet d’obtenir des codes pour l’interopérabilité et de se battre avec eux. Mais l’avion suisse doit viser une autre coopération, en échangeant des informations avec les pays de l’OTAN. Nous n’avons pas vocation à projeter des bombes en pays étranger.
François Pointet (PVL/VD), partisan Le contrôle des finances américain (GAO) rappelle que le F-35 a des problèmes de développement de son nouveau standard block 4 et que ses coûts continuent à augmenter – ce qu’ont d’ailleurs aussi annoncé les dirigeants du programme. Inquiétant?
C’est inquiétant dans un certain sens, mais rappelons qu’il s’agit de développements de haute technologie, et que le Conseil fédéral assure que les contrats sont fixes. L’Office fédéral de l’armement (Armasuisse) dit que ce block 4 va venir plus tard, mais sans trop de coûts supplémentaires, même si les services de maintenance devront participer à l’intégration et qu’il faudra arrêter l’avion. De manière plus générale, nous nous trouvons dans une discussion de position entre les «pro» et les «contre» qui se renvoient la balle, et on n’arrive pas vraiment à savoir de quel côté est la vérité.
Le block 4 ne sera définitivement opérationnel qu’en 2029, alors que l’armée suisse attend près de la moitié de ses commandes avant, en 2027 et 2028. N’a-t-on pas un problème?
Armasuisse affirme que le fabricant livre avec l’infrastructure (hardware) nécessaire et que seul le logiciel (software) ne serait pas prêt. Cela réduit les risques. Après, il s’agit d’une question financière, commerciale, contractuelle. Le Conseil fédéral achète les avions mais les modifications sont à la charge du fabricant.
Le F-35 n’est pas encore en production de série. Il est donc moins fiable, rappelle le GAO, contrôle des finances américain. A l’inverse, ses trois concurrents sont déjà arrivés à ce stade. A-t-on choisi le bon avion? Ou aurait-il fallu prendre un des trois autres?
Je ne suis pas un spécialiste. En prenant un peu de hauteur, rappelons que l’on veut un avion qui s’intègre, qui dure, et pour cela on doit prendre un certain risque sur l’avenir. Les trois autres engins sont de la génération précédente. Cet atout peut aussi être mis dans la balance en faveur du F-35. D’autant qu’il faut à présent avancer et remplacer les F/A-18 en service.
Dans son analyse coûts-bénéfices, Armasuisse n’a pas pris en compte les rapports et inspections américains. N’est-ce pas un manque de ne pas tenir compte de la réalité?
La réalité, c’est toujours dur de savoir ce que cela veut dire. Concentrons-nous sur le contrat: les chiffres, les attentes, les exigences. Tout producteur est censé livrer selon les conditions fixées.
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