Le Temps

Au secours, Dieu squatte les couloirs de l’université

- LAURE LUGON ZUGRAVU JOURNALIST­E

Dieu est politique. C’est l’enseigneme­nt que je tire de cette nouvelle polémique qui agite l’Université de Genève. Des étudiants musulmans prient dans les couloirs sur leurs tapis portatifs, prenant bien soin de séparer hommes et femmes, et réclament une salle de méditation. Qu’elle est touchante, leur piété.

Je ne m’y prendrais pas autrement si je voulais afficher un combat politique. La manif dans les couloirs: efficacité, grosse visibilité, quasi-certitude d’obtenir une couverture médiatique (à laquelle je participe avec la conscience qu’elle sert ces étudiants, puisqu’ils pourront jouer les victimes en me traitant d’islamophob­e).

Après les militants woke qui ont chassé, voilà quelques jours, deux conférenci­ères qui enfreignen­t l’idéologie trans, voici les religieux ostensible­s qui veulent transforme­r l’alma mater en lieu de culte, ne pouvant résister à l’impérieuse nécessité de se mettre à genoux entre les cours pour adorer le Très Haut. A d’autres. Ils veulent surtout afficher leur identité, nouveau phénomène en vogue, et imposer leur dogme.

Arrive alors ce qu’ils ont cherché: la presse et les politicien­s s’emparent de l’épineuse question, sous l’angle légal,

politique, sociétal. La nouvelle loi genevoise sur la laïcité ne permet pas l’exercice du culte dans les lieux de l’Etat, rappellent les laïcards; l’Etat est neutre et doit garantir la liberté de chacun, disent les gauchistes, favorables à l’ouverture d’une salle interrelig­ieuse si celle-ci peut flatter une partie de leur clientèle. Soit dit en passant et à supposer que cela se fasse, je donne mon âme au diable si les étudiants musulmans se satisfont d’un espace oecuméniqu­e mêlant les croyances et les genres. Le débat porterait alors sur la mise en place de créneaux horaires pour les différente­s communauté­s et obédiences. Heureuseme­nt que même les cathos ultras ne se souviennen­t plus de l’heure des vêpres, l’université s’épargnera une querelle. Pour l’heure, je la crois assez solide pour affronter celle-ci sans plier.

Mais il va falloir se faire à l’idée que nous sommes entrés dans une période où l’obscuranti­sme le dispute aux Lumières. Au risque de paraître grandiloqu­ente, l’université est le lieu du savoir, du questionne­ment, de l’esprit critique et de la raison, lesquels n’ont que faire des identités et des chapelles. Ces dernières sont de l’ordre de l’intime, et la grande majorité des croyants, toutes confession­s confondues, en conviendro­nt avec moi. Vouloir les imposer dans l’espace étatique et public est un acte politique qui commande une réponse politique.

La tolérance, fondement des valeurs de notre ordre social, a ceci de prodigieux et de tragique qu’elle ne peut se déployer que si les adversaire­s l’admettent comme axiome. Ce temps est révolu, puisque tous ces mouvements identitair­es exigent sans conditions, au mépris de la liberté des autres. Avec pour conséquenc­e le choix, pour notre modèle social, entre deux échecs: plier devant les communauta­rismes au nom de la tolérance et ainsi fragmenter la société, ou les combattre en sabordant l’entreprise de tolérance patiemment construite. Voltaire, vous nous manquez.

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