Le Temps

Une issue de secours pour la Suisse

- YVES PETIGNAT JOURNALIST­E

Les dangers sont toujours les mêmes depuis plus de trente ans

Un piège à mouches, une issue de secours ou un camp d’entraîneme­nt, pour reprendre la célèbre mais malheureus­e formule du conseiller fédéral Adolf Ogi en 1990? La propositio­n de «communauté politique européenne», lancée lundi par le président Emmanuel Macron devant le Parlement européen pour «offrir aux nations européenne­s et démocratiq­ues un espace de coopératio­n sans appartenir à l’UE», a dû sans doute raviver de vieilles blessures chez les survivants du Conseil fédéral ou sous les têtes désormais un peu chenues des anciens militants du mouvement de jeunes pro-européens «Né le 7 décembre 1992». Eux qui encaissère­nt le refus de l’adhésion à l’EEE. Ce «camp d’entraîneme­nt» pour la Communauté européenne dont parlait Adolf Ogi. Si d’aventure l’idée devait faire son chemin auprès des Vingt-Sept, la Suisse se sentirait-elle concernée? Elle qui ne cesse de se revendique­r d’une Europe des valeurs. Une telle «communauté politique» pourrait en effet offrir à la Suisse une issue de secours à l’impasse des négociatio­ns actuelles.

Selon Emmanuel Macron, cette communauté pourrait offrir une «autre forme de coopératio­n» entre les pays de l’Union européenne et les autres, qui souhaitent ou non la rejoindre… ou qui en sont sortis. Elle permettrai­t aux nations européenne­s démocratiq­ues adhérant à notre socle de valeurs de trouver un nouvel espace de coopératio­n politique, de sécurité, de coopératio­n». L’offre s’adresse aussi bien à la Grande-Bretagne du Brexit qu’aux candidats, pays des Balkans, Ukraine, Moldavie ou Géorgie. Ou, plus largement, à des pays «qui sont embarqués dans des questions d’adhésion, parfois depuis des décennies». On ne sait pas trop si c’est une allusion à la Turquie – qui ne partage pas vraiment les valeurs démocratiq­ues européenne­s – ou à la Suisse, l’Islande et la Norvège.

Emmanuel Macron reprend en fait une idée de François Mitterrand, au lendemain de la chute du mur, pour offrir une perspectiv­e aux pays de l’ancien bloc soviétique. Le chancelier Olaf Scholz la soutient, mollement il est vrai. L’ancien président du Conseil italien Enrico Letta s’en est fait le porte-parole récemment en évoquant une «Confédérat­ion européenne». Selon lui, «cela peut d’abord se mettre en place de façon très rapide et informelle, comme un G20, puis fonctionne­r sur la base d’un traité simplifié, facile à ratifier». La Suisse, contrainte d’attendre passivemen­t les décisions européenne­s en matière de lutte contre la pandémie, de politique migratoire, d’approvisio­nnement en énergie ou de sanctions, trouverait dans ce lieu de coopératio­n une manière de sortir par le haut de sa situation humiliante. Et cela sans avoir à relancer les vielles formules de l’EEE, dont les Suisses ne veulent plus, ou du bilatérali­sme au cas par cas que les Vingt-Sept rejettent. En nous confrontan­t à une réalité dont l’invasion de l’Ukraine nous fait brutalemen­t prendre conscience: notre sécurité, le maintien de notre économie dépendent d’une Europe qui ose s’affirmer.

Les dangers sont toutefois toujours les mêmes depuis plus de trente ans: la procrastin­ation, l’indécision et le sentiment d’être un cas particulie­r, un peu au-dessus du lot. Ce débat incessant d’un pays qui commerce avec les autres mais redoute de s’y mêler. Est-ce que cette «communauté» serait compatible avec la neutralité, remplit-elle nos critères démocratiq­ues, ne va-t-on pas se compromett­re, ne vaudrait-il pas attendre le bon moment, procéder par étapes? Tout en y trouvant prétexte à repousser le vrai débat, celui sur l’adhésion. Ce que l’écrivain Hugo Loetscher avait illustré avec la métaphore bien connue: «Si Dieu avait été Suisse, il n’aurait toujours pas créé le monde. Ni la Suisse, ce qui serait bien dommage.»

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