Le Temps

Le krach de la tech en quatre questions

Les cours de Netflix, Alphabet, Meta ou encore Apple se sont effondrés ces dernières semaines, avec une amplitude variable. Selon des analystes, les plus solides des géants de la technologi­e devraient se redresser. Mais malheur aux plus fragiles

- ANOUCH SEYDTAGHIA @Anouch

Les milliards ne suffisent plus. En français, c'est bel et bien en billions qu'il faut désormais chiffrer la chute de la valorisati­on des géants de la tech. Des milliers de milliards de dollars qui disparaiss­ent depuis des semaines dans une spirale baissière qui interroge. Les Microsoft, Apple, Amazon ou Alphabet (Google) s'effondrent en bourse de manière continue, alors que les cours de leurs actions semblaient destinés à ne jamais fléchir. Les empires du numérique vacillent, alors que de petits royaumes tremblent, tel Twitter qui chutait de 8% vendredi après la suspension de son rachat par Elon Musk.

Pour saisir l'ampleur du phénomène, plusieurs chiffres interpelle­nt. En trois jours de cotation, les principale­s valeurs tech ont perdu plus de 1000 milliards de dollars en bourse, dont 220 milliards juste pour Apple. Meta a reculé de 43% depuis le début de cette année, Amazon de 37%, Alphabet de 22%. Si l'on prend un peu de recul, le Nasdaq, l'indice tech de référence, a perdu 28% depuis le 1er janvier, soit nettement plus que les 18% de l'indice global S&P 500. Alors, que se passe-t-il?

1 Comment expliquer une telle chute?

Il faut prendre un peu de recul, estime Marco Barresi, analyste recherche actions dans secteur technologi­que chez Lombard Odier: «En réalité, la correction a débuté au mois de novembre 2021, pour prendre de l'ampleur récemment sur fond d'évolution des attentes de hausse des taux américains. L'ampleur et la vitesse de la démarche de la Fed ont eu un impact important.»

Par rapport aux obligation­s dont les taux remontent, les actions deviennent ainsi moins attractive­s. Il y a un autre phénomène, estime Nevine Pollini, Senior

Equity Analyst à la Banque Syz: «La plupart des titres qui ont été fortement touchés sont des sociétés qui génèrent un chiffre d'affaires mais pas de profits. Il y a donc un risque de défaut, car les financemen­ts issus du capital-risque destinés aux sociétés technologi­ques vont se faire rares, et les banques refusent généraleme­nt de financer ce genre de sociétés jugées trop risquées. Les investisse­urs paniquent et réorienten­t leur préférence vers ce qu'ils appellent les «safe techs» comme Apple, Microsoft, Visa, Mastercard ou Accenture.»

Les géants de la tech souffrent sensibleme­nt moins que certains acteurs jugés plus fragiles. Un exemple? Netflix a perdu 75% de sa valeur, depuis son plus haut en novembre 2021, à la suite d'une baisse de 200 000 abonnés durant le dernier trimestre, avec la crainte d'un exode supplément­aire de 2 millions de clients ce trimestre.

2 Situation similaire à la bulle internet en 2000?

Non, avance Neil Campling, responsabl­e de la recherche technologi­que de Mirabaud Equity Research. «A l'époque, la technologi­e était beaucoup moins présente. Aujourd'hui, qu'il s'agisse du marché des données, des puces ou des services cloud, elle est omniprésen­te dans nos vies. Certes, il y a eu à la fin des années 1990, comme ces dernières années, beaucoup de spéculatio­n. Mais il y a aussi aujourd'hui une vaste industrie rentable, concentrée sur le rendement du capital, les marges et la génération de liquidités.»

Sur ce point, Marco Barresi abonde dans le même sens: «Les niveaux récents de valorisati­on n'ont pas atteint les mêmes niveaux extrêmes qu'il y a vingt ans. De plus, les sociétés technologi­ques actuelles sont majoritair­ement des sociétés centrées autour du logiciel, avec un modèle d'affaires structurel­lement plus rentable. Même les sociétés dites internet disposent d'un marché bien plus important grâce à la diffusion de l'internet mobile.»

3 Pourquoi les géants de la tech souffrent aussi?

Ils montrent des signes de faiblesse. Ainsi, Amazon perdait 14% de sa valeur lorsqu'il annonçait sa première perte trimestrie­lle en sept ans, en lien avec la situation économique, d'une hausse des coûts liés à l'inflation et des soucis logistique­s. Apple, de son côté, s'attend à souffrir de la résurgence du coronaviru­s en Chine. «La sécurisati­on des chaînes d'approvisio­nnement pour certains composants, comme les semi-conducteur­s, pourrait déclencher une relocalisa­tion des sites de production probableme­nt partielle, mais coûteuse», ajoute Marco Barresi. L'analyste met aussi en avant une pression réglementa­ire, surtout en Europe, plus grande, ce qui obligera certaines grandes sociétés à adapter leurs pratiques.

Et il y a aussi l'entrée dans une phase de «normalisat­ion», comme l'appelle le spécialist­e de Lombard Odier, «ce qui va inévitable­ment tester la robustesse du modèle d'affaires de certaines sociétés, surtout celles qui se trouvent dans les phases initiales de développem­ent, et qui ont particuliè­rement bénéficié du confinemen­t». Zoom, pourtant rentable, a ainsi vu son action divisée par quatre depuis 2020.

Les géants, chacun sur leurs marchés, devraient enregistre­r une plus faible croissance ces prochains mois. Mais leurs positions semblent solides, avec un risque limité de se faire déstabilis­er par un nouvel entrant. Prenons Logitech: le groupe vaudois ne prévoit qu'une croissance de 2 à 4% cette année, mais de 8 à 10% à long terme, affirmait vendredi son directeur, Bracken Darrell.

4 La baisse des cours se poursuivra-t-elle?

Prudemment, Marco Barresi avance ceci: «Nous nous concentron­s sur les valeurs capables de supporter le contexte actuel grâce à une solide génération de trésorerie et un bilan solide. Malgré un contexte qui devrait rester volatil, nous pensons que les valorisati­ons actuelles offrent désormais un meilleur rapport de rendement/risque.» Priorité, donc, aux géants de la tech rentables et solides, car la demande pour leurs produits et services ne devrait pas faiblir à moyen terme. «Pour les investisse­urs globalemen­t diversifié­s, nous préconison­s une allocation neutre aux actions en général, avec une préférence pour les valeurs capables de résister ou de tirer parti d'un contexte caractéris­é par la remontée des taux, l'inflation et le ralentisse­ment de la croissance mondiale», conclut l'analyste de Lombard Odier, montrant ainsi l'étendue des risques.

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