Course contre la montre pour vider les silos ukrainiens
CÉRÉALES La guerre a empêché l’Ukraine de vider ses stocks de blé, maïs, soja et autres oléagineux et les récoltes 2022 s’approchent à grands pas. L’Union européenne veut mobiliser des ressources humaines et logistiques pour aider la quatrième puissance agricole mondiale à exporter ses produits. Il y a 20 millions de tonnes à sortir d’ici à juillet
A mi-mai, la période des semis est presque terminée en Ukraine. Les agriculteurs ont déjà mis 90% des semences de maïs, soja, blé et tournesol en terre dans toutes les régions du pays, à l’exception de celle de Lougansk où l’agression russe se poursuit. «Les récoltes de nos principaux produits d’exportation auront lieu de juillet à septembre, avant l’arrivée de l’automne, rappelle Oxana Kobzar, économiste agricole ukrainienne basée à Genève. En cette période de l’année, il commence déjà à faire froid dans cette partie du monde.»
Mais auparavant, il faudra vider les montagnes d’invendus de 2021. L’invasion de l’Ukraine et le blocage des ports vitaux de la mer Noire ont empêché les exportations. «Les silos, s’ils n’ont pas été détruits par les bombardements russes, sont encore remplis, poursuit la spécialiste ukrainienne. C’est une urgence non seulement pour nos agriculteurs, mais aussi pour assurer les exportations.»
Le plan européen
Selon Andrée Defois, présidente du cabinet de prospectives agro-économiques Tallage-Stratégie Grains basé à Paris, il y a au moins 20 millions de tonnes de maïs et de blé qui devraient sortir du pays. «En bombardant des routes et des ponts, les Russes ont rendu la tâche encore plus difficile, déclare-telle au Temps. Des professionnels estiment qu’il est possible de transporter entre 1,5 et 2 millions de tonnes de céréales et d’oléagineux par mois en passant par la Pologne, la Hongrie, la Roumanie, la Moldavie et la Bulgarie, pays frontières de l’Ukraine. A ce rythme, la tâche ne sera de loin pas accomplie d’ici à fin juillet.» Andrée Defois fait aussi remarquer que des centaines de camions attendent durant des jours avant de pouvoir entrer en territoire ukrainien.
C’est là qu’intervient l’Union européenne (UE). Elle est en train de finaliser un plan pour accélérer les exportations par voie terrestre (routes et rails) et fluviale par le Danube, le deuxième plus long fleuve, qui prend sa source en Allemagne et traverse l’Autriche, la Slovaquie, la Hongrie, la Serbie, la Roumanie et l’Ukraine avant de se jeter dans la mer Noire. Pour Bruxelles, il faut une stratégie qui accélère l’expédition des produits d’exportation en éliminant les goulets d’étranglement logistiques. Il y a deux semaines, les Européens ont supprimé les barrières commerciales quantitatives qui limitaient les exportations ukrainiennes à 300 000 tonnes par année.
Le secteur agricole de l’Ukraine, l’un des plus importants au monde, représente près de 10% de son PIB. L’année dernière, le pays en a exporté pour près de 28 milliards de dollars, dont 7,4 milliards de dollars vers l’UE. Avant la guerre, environ 5 millions de tonnes étaient expédiées chaque mois par la mer Noire. A présent, cette sortie est bloquée par la marine russe.
«Les camions et les trains ne peuvent pas transporter les mêmes quantités que les vraquiers qui opéraient à partir de la mer Noire» WITHUN STILL, ACTIF DANS LE NÉGOCE DES MATIÈRES PREMIÈRES AGRICOLES
Mais il y a des limites à ce qui peut être transporté par routes ou par rails. Selon Swithun Still, actif dans le négoce des matières premières agricoles, les infrastructures actuelles permettraient difficilement de relever le défi. «Les camions et les trains ne peuvent pas transporter les mêmes quantités que les vraquiers qui opéraient à partir de la mer Noire, fait-il comprendre. C’est une question de volume; ces derniers peuvent charger jusqu’à 60 000 à 70 000 tonnes de mais ou de blé contre 50 à 60 tonnes pour un camion.»
Un autre obstacle: les rails
«Les rails ne sont pas une grande solution non plus, poursuit Swithun Still. Les marchandises peuvent être transportées dans les wagons jusqu’aux frontières avec l’UE, mais par la suite, elles doivent changer de train, l’écartement des rails ukrainiens n’étant pas les mêmes que le système d’Europe occidentale.» Le spécialiste souligne un autre obstacle: le manque de bennes spécialisées pour transporter de l’huile de tournesol. «Les usines qui transforment les graines en huile sont situées près de la mer Noire», fait-il remarquer.
Consciente de ce problème, la Commission européenne entend mobiliser tous les professionnels et tous les équipements nécessaires pour transvaser les chargements rapidement des trains ukrainiens dans des wagons européens. Pour la commissaire chargée des Transports, Adina Valean, «il est essentiel de coordonner et d’optimiser les chaînes logistiques, de mettre en place de nouveaux itinéraires et d’éviter, autant que possible, les goulets d’étranglement». Par la suite, il faut que les pays de l’EU aient eux-mêmes des capacités de stockage.
L’Ukraine sera-t-elle contrainte de sacrifier une partie de sa production agricole faute de pouvoir l’emmener sur le marché international? Pour Swithun Still, l’une des solutions à court terme serait d’avoir recours aux sacs d’ensilage, qui peuvent contenir de grands volumes de céréales et qu’on peut laisser sur les champs.
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