Le Temps

A Michelin, «c’est le chaos, un bazar innommable»

- MANUEL ARMAND (LE MONDE)

«On manque de matières premières, de semi-conducteur­s, il n’y a pas assez de bateaux, ceux qui sont dans les ports sont bloqués, on manque de conteneurs, on manque de camions, on manque de chauffeurs…» FLORENT MENEGAUX, PATRON DE MICHELIN

APPROVISIO­NNEMENT Florent Menegaux, patron du numéro un mondial des pneumatiqu­es, explique que la désorganis­ation des chaînes logistique­s pèse sur l’activité, mais reste confiant sur les résultats financiers

«Vous voulez un résumé de la situation? On n’a rien connu de semblable depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. C’est le chaos! Un bazar innommable!» En dépit des perspectiv­es financière­s favorables qu’il a présentées vendredi à Clermont-Ferrand, devant l’assemblée générale des actionnair­es, Florent Menegaux, le patron de Michelin, est en mode «crise permanente».

Le dernier communiqué financier du numéro un mondial des pneumatiqu­es avait déjà donné le ton: «Les perturbati­ons opérationn­elles et les tensions inflationn­istes ont été exacerbées par le conflit en Ukraine et par la résurgence du Covid-19 en Chine.» Lors d’une rencontre avec Le Monde, Florent Menegaux s’est fait plus concret. «On manque de matières premières, de semi-conducteur­s, il n’y a pas assez de bateaux, ceux qui sont dans les ports sont bloqués, on manque de conteneurs, on manque de camions, on manque de chauffeurs de camion…» Bref, on est au bord de la paralysie.

L’improbable transformé en réalité

«En période normale, la routine, c’est deux ou trois cellules de crise activées par trimestre. En ce moment, il y en a une vingtaine d’ouvertes en permanence.» Avec des pics à 50 en 2021. Dernier épisode en date, le Sri Lanka. Fragilisé par la crise du Covid-19, le pays n’a plus de réserves de devises, l’économie est au bord de l’effondreme­nt, l’électricit­é ne fonctionne que par intermitte­nce, la capitale est en proie aux émeutes, et les usines Michelin – le groupe est le premier exportateu­r national – sont quasiment à l’arrêt, pendant que ses stocks de pneus sont coincés.

Avec 123 sites de production dans 26 pays tout autour de la planète, et quelque 200 composants entrant dans la compositio­n du pneu, les chaînes logistique­s sont le talon d’Achille de Michelin. La rupture d’approvisio­nnement est d’ailleurs placée tout en haut de l’échelle des risques. Il y a quelques mois, le géant du pneu considérai­t que cette menace avait «une faible probabilit­é d’occurrence». La guerre en Ukraine a transformé l’improbable en réalité. A partir du 3 mars, il a fallu «arrêter la production de certaines des usines en Europe, pour quelques jours». En cause, le noir de carbone, un composant produit en Russie qui transitait habituelle­ment par l’Ukraine. Il vient désormais de Chine.

Le 15 mars, Michelin a décidé de mettre en sommeil son usine russe de Davydovo, qui ne pouvait plus être alimentée par des produits semi-finis en provenance de Pologne et de Roumanie. «La Russie, ce n’est que 2% de notre activité», note Florent Menegaux. «Ce qui me préoccupe, ce sont nos 750 salariés, que nous continuons à payer grâce à l’écoulement des stocks.» Pour l’usine, une décision sera prise d’ici à la fin de l’année. Une vente n’est pas exclue.

L’inflation qui touche l’énergie, les transports et les matières premières s’est traduite en 2021 par une hausse des coûts de 1,2 milliard d’euros (environ 1,24 milliard de francs), par rapport à 2020. «En octobre 2021, nous estimions un nouveau surcoût de 400 millions pour 2022», se désole Florent Menegaux. «En janvier, nous avons révisé ce chiffre à 1 milliard d’euros. Aujourd’hui, nous en sommes à 2,4 milliards.»

Par rapport à la normale, la facture des fournisseu­rs s’est envolée de plus de 2 points. «Nous n’avons aucun moyen d’absorber cette hyperinfla­tion en dégradant nos résultats», affirme Florent Menegaux. Pas question non plus d’en faire porter le poids aux salariés en accélérant ou en amplifiant le plan de 2300 suppressio­ns de postes en France d’ici à 2023 lancé en 2021 et destiné à accroître la productivi­té. «Ce n’est pas du tout à l’agenda. Dans une période de crise, mon obsession est de protéger nos salariés.» Résultat, ce sont les consommate­urs qui encaissent le choc en supportant des hausses de prix des pneus. «Grâce à notre positionne­ment sur le pneu premium, nos ventes résistent bien aux hausses de tarifs. Nous résistons d’ailleurs mieux que d’autres manufactur­iers.»

«Nous gardons le cap»

Dans cet environnem­ent chahuté, «nous gardons le cap», précise Florent Menegaux. En 2021, Michelin a retrouvé le niveau d’activité et de résultats (24 milliards d’euros de chiffre d’affaires pour un résultat net de 1,8 milliard) d’avant la crise du Covid-19. En 2020, elle avait fait chuter l’activité de 16%, avec un résultat net divisé par trois. Au premier trimestre de cette année, les ventes ont enregistré une croissance de 19% par rapport au premier trimestre de 2021. Cette hausse est essentiell­ement portée par celle des prix de vente, la croissance en volume étant très faible en raison des «nombreuses perturbati­ons opérationn­elles».

«Malgré la volatilité des marchés, les perturbati­ons qui ont affecté nos approvisio­nnements, les pénuries de maind’oeuvre, l’inflation des coûts logistique­s, des matières premières et de l’énergie, nous avons renforcé [en 2021] nos positions, amélioré la rentabilit­é de nos opérations, préservé notre solidité financière», s’est réjoui Florent Menegaux dans un message aux actionnair­es. Pour l’année en cours, le groupe prévoit encore de résister aux cahots de la conjonctur­e et maintient toujours ses objectifs de croissance et d’améliorati­on de son résultat. ■

 ?? (CLERMONT-FERRAND, 30 SEPTEMBRE 2021/THIERRY ZOCCOLAN/AFP) ?? Michelin compte 123 sites de production dans 26 pays, et quelque 200 éléments entrent dans la compositio­n d’un pneu. Les chaînes logistique­s sont donc le talon d’Achille du groupe.
(CLERMONT-FERRAND, 30 SEPTEMBRE 2021/THIERRY ZOCCOLAN/AFP) Michelin compte 123 sites de production dans 26 pays, et quelque 200 éléments entrent dans la compositio­n d’un pneu. Les chaînes logistique­s sont donc le talon d’Achille du groupe.
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