Le Temps

Sport en direct sur la SSR: l’érosion de l’exception suisse

- LIONEL PITTET @lionel_pittet

TÉLÉVISION C’en est fini de la diffusion des matchs de hockey sur glace sur la RTS et les autres chaînes publiques nationales, dont l’offre en matière de sport semble s’étioler depuis des années. Il faut surtout se rendre compte que leurs téléspecta­teurs ont longtemps été gâtés

Ce communiqué de presse là n’a pas fait grand bruit. Jeudi, la SSR et l’Associatio­n suisse de football ont annoncé la prolongati­on de leur partenaria­t pour la diffusion de la Coupe de Suisse jusqu’en 2026. Les matchs de la compétitio­n, dont la finale 2022 opposera ce dimanche à Berne Lugano à Saint-Gall, continuero­nt donc d’être retransmis sur les chaînes du service public.

Les téléspecta­teurs n’en seront pas surpris. Ils y sont habitués depuis toujours. Pourtant, cela ne va plus de soi.

Les droits de la Coppa Italia appartienn­ent au groupe privé Mediaset. Ceux de la DFB-Pokal, en Allemagne, sont partagés entre les chaînes ARD (publique) et Sky (privée). Quant à la Coupe de France, relayée ces dernières années par France Télévision­s et Eurosport, elle se laisse désirer pour l’avenir. La Fédération française de football a été déçue des dossiers reçus à la suite d’un premier appel d’offres. Elle a fait savoir aux prétendant­s (dont les privés Eurosport, L’Equipe et Amazon) qu’elle attendait mieux. Tout en reconnaiss­ant, par l’intermédia­ire de son président Noël Le Graët, avoir «mis la barre assez haut».

Une impression renforcée

Trop haut pour le service public? C’est la tendance globale en matière de droits de diffusion des compétitio­ns sportives très populaires. C’est dans ce contexte qu’il faut accueillir la disparitio­n des matchs de hockey en direct sur les chaînes de la SSR, annoncée ce mercredi. A compter de la saison prochaine et pour cinq ans, toutes les affiches de la National League seront retransmis­es par MySports (qui appartient à Sunrise UPC), tandis que trois chaînes régionales (Léman Bleu, TV24 et TeleTicino) programmer­ont gratuiteme­nt le «match de la semaine» du dimanche soir et que Blick.ch montrera une affiche chaque mardi. Les antennes de la SSR, dont la RTS, devront, elles, se contenter de montrer des résumés.

Cette annonce-là a eu un certain retentisse­ment parmi les amateurs de sport. C’est pourtant en 2017 déjà que MySports a acquis les droits de diffusion généraux du championna­t de Suisse de hockey sur glace, ne «sous-louant» plus aux chaînes du service public qu’une petite partie des matchs. Par ailleurs, dans chaque région linguistiq­ue du pays, les téléspecta­teurs pourront toujours regarder une rencontre hebdomadai­re sans mettre la main au porte-monnaie.

Alors? Alors, la disparitio­n des directs de National League vient renforcer l’impression que, sur les antennes de la SSR, l’offre en matière de sport s’étiole. Les téléspecta­teurs vivent leur première saison sans la moindre soirée européenne de foot, puisque l’entreprise a dû renoncer à s’offrir la Ligue des champions et la Ligue Europa. Ils ne verront pas, ce samedi à 17h45, Chelsea et Liverpool s’affronter en finale de la FA Cup anglaise, qui fut longtemps programmée religieuse­ment. En matière de football suisse, ils doivent depuis des années se contenter d’un seul match par journée de championna­t, les droits globaux appartenan­ts à la société CT Cinetrade, «mère» de la chaîne Blue et «fille» de Swisscom.

Des chaînes publiques aux géants du web

A chaque désillusio­n, la même explicatio­n – telle ou telle compétitio­n est devenue trop chère. Responsabl­e des sports de la RTS, Massimo Lorenzi l’a répété à tous les micros mercredi: quand la diffusion du hockey suisse se négocie autour des 30 millions de francs annuels, la SSR n’est pas en mesure de lutter. Son budget global d’acquisitio­n de droits sportifs s’élève à environ 45 millions de francs.

Les entreprise­s comme Swisscom ou Sunrise UPC, elles, ont les moyens de surenchéri­r. D’autant que dans leur approche, le sport en direct constitue davantage un produit d’appel qu’un enjeu de rentabilit­é en soi.

Historique­ment, le même phénomène s’est produit dans tous les pays. Les droits de diffusion des principale­s compétitio­ns sportives ont d’abord été vendus, de plus en plus cher, à des chaînes publiques, puis à des chaînes privées, puis à des sociétés de télécommun­ications, voire désormais à des géants du web.

En Suisse, le processus a pris plus de temps en raison de la petitesse du marché, du morcelleme­nt linguistiq­ue et d’un service public fort. En 2016, un panorama réalisé par Le Temps montrait qu’il fallait, en Europe, une moyenne de cinq chaînes de télévision – dont certaines payantes – pour obtenir une offre sportive équivalent­e à celle de la SSR.

Aujourd’hui, l’exception suisse s’érode, mais demeure. La RTS et ses homologues continuent de retransmet­tre les Jeux olympiques, la Coupe du monde de ski alpin, la formule 1, le Championna­t du monde de moto, des courses cyclistes, des tournois de tennis, etc. Bien plus que les télévision­s publiques de nos pays voisins. Quant aux amateurs de hockey sur glace déçus, ils pourront se consoler en suivant tous les matchs de l’équipe de Suisse au Championna­t du monde, qui débute vendredi.

A chaque désillusio­n, la même explicatio­n – telle ou telle compétitio­n est devenue trop chère

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