«Contre le Covid-19, un seul rappel par an sera possible, voire moins»
CORONAVIRUS Alors que le vaccin contre le Covid-19 de Moderna a été autorisé vendredi par Swissmedic pour les enfants, l’entreprise annonce, par la voix de Paul Burton, son directeur du secteur médical, l’arrivée cet hiver d’un vaccin spécifique à Omicron
Swissmedic a autorisé ce vendredi 13 mai l’utilisation du vaccin à ARN contre le Covid-19 de Moderna chez les enfants de 6 à 11 ans en Suisse, quatre mois après celui de son concurrent Pfizer. Cette nouvelle tombe alors que le variant Omicron a déjà infecté une très large part de la population et que le taux de vaccination chez les enfants ne dépasse pas les 10%.
Dans ce contexte, plusieurs questions se posent: La vaccination de rappel est-elle pertinente?
Les prochaines doses de vaccin seront-elles adaptées aux variants en circulation ou à venir du virus? Paul Burton, directeur du secteur médical de Moderna, a répondu aux questions du Temps notamment sur les projets d’adaptation du vaccin à ARN et sur l’accès aux doses.
Votre vaccin vient d’être autorisé pour les 6-11 ans, celui de Pfizer l’est depuis janvier. Le taux de vaccination chez les enfants reste néanmoins très bas. Pourquoi, selon vous?
Lorsque le vaccin a été autorisé pour les adolescents, l’été dernier, celui-ci a été bien reçu et beaucoup se sont fait vacciner en prévision de la rentrée scolaire. Pour les enfants, c’est différent. Les gens se sont demandé si cela était nécessaire et si la vaccination était sûre pour cette tranche d’âge. En tant que représentant de la communauté médicale, je ne pense pas que nous ayons fait un très bon travail pour informer les médecins et les parents. Ces derniers ont été laissés seuls dans leur prise de décision, face aux différentes options qui s’offraient à eux.
Il faut savoir que le vaccin a été utilisé chez des millions de personnes dans le monde, de sorte que pratiquement tous les aspects de sa sécurité sont bien connus. Les parents devraient donc se sentir confiants de vacciner leurs enfants, d’autant plus que cette maladie peut aussi être sévère chez les plus jeunes, également avec le variant Omicron.
En Suisse, le nombre d’infections par le variant Omicron est très élevé. Est-ce dès lors pertinent de faire un rappel ou même une quatrième dose?
De nouveaux variants vont continuer à se propager. Face à cela, se protéger avec un rappel maintenant offre une bonne protection, surtout pour les personnes à risque. En ce qui concerne la population générale, la vaccination couplée à une infection offre ce qu’on appelle un «élargissement d’épitope», ce qui signifie que la protection est supérieure à celle apportée par la vaccination ou une infection seule. Se faire vacciner et faire des rappels, même si l’on a été testé positif, semble élargir la réponse non seulement des anticorps mais aussi des cellules immunitaires.
Concernant la quatrième dose, l’étude COV-Boost parue lundi dans le Lancet Infectious Diseases, montre qu’il y a une réponse immunitaire plus forte après une deuxième dose de rappel.
Je pense que cet été, les cas vont continuer de diminuer, avec une période de stabilité lorsque les gens seront davantage à l’extérieur et moins regroupés. Mais pour cet automne nous devons être prêts à proposer de nouveaux rappels.
Pour faire valider un vaccin, les industries pharmaceutiques doivent réaliser des études cliniques et montrer son efficacité sur la réponse immunitaire. Aujourd’hui, seuls des tests de réponses des anticorps sont pris en considération. Des experts américains ont demandé à l’autorité de validation (FDA) que les industries fournissent aussi des tests sur la réponse cellulaire qui joue un rôle important dans l’immunité. Qu’en pensez-vous?
D’un point de vue logistique, c’est compliqué de faire des tests de globules blancs dans les études cliniques. Au sein de ces dernières, on effectue beaucoup de tests sur les anticorps, parce que cela est relativement facile à réaliser et que cela indique une protection contre la maladie. On a juste besoin d’un prélèvement sanguin, les échantillons sont stables et peuvent être envoyés à des laboratoires pour les analyses. Pour conduire des expériences biologiques sur les cellules immunitaires B et T, il faut avoir accès à des laboratoires spécialisés qui sont peu nombreux et parfois envoyer les cellules par avion qui peuvent mourir entre-temps.
Est-ce que vous travaillez sur un rappel de vaccin adapté au variant Omicron?
Oui. Nous avons déjà obtenu des résultats montrant que l’injection avec un vaccin bivalent (mRNA-1273.211) contenant la souche ancestrale et le variant Bêta générait un taux élevé d’anticorps contre les variants Bêta, Delta et Omicron. Six mois après l’injection, on mesure toujours un taux élevé d’anticorps dirigés contre Omicron alors que la séquence de ce variant n’est pas présente dans le vaccin. Le variant Bêta est suffisamment différent de la souche ancestrale pour être capable de faire en sorte que le corps produise des anticorps pouvant réagir avec Omicron.
Nous sommes par ailleurs en train de tester un nouveau vaccin (mRNA1273.214) qui contient la souche ancestrale et Omicron. Je prédis qu’il y aura aussi des taux élevés d’anticorps contre Omicron et d’autres variants, même après six mois. C’est notre candidat pour le rappel de cet hiver. Selon moi, si nous utilisons ce vaccin, un seul rappel annuel sera possible voire moins, avec une bonne protection contre les autres variants à venir.
Est-ce que vous envisagez de combiner le vaccin contre le covid avec un vaccin contre la grippe?
Cette année, nous avons en effet commencé à tester en phase I deux nouveaux vaccins: un combinant le Covid-19 et la grippe, et un autre contenant le Covid-19, la grippe et le virus respiratoire syncytial (VRS). On prévoit de lancer le premier dans certains pays fin 2023 ou début 2024 et la triple combinaison plus tard. Cela donnera une bonne protection aux gens contre des pathogènes respiratoires hivernaux. Au départ, nous ne serons pas capables de fournir ces vaccins partout, seulement dans les zones les plus affectées. Par la suite, ils seront disponibles partout dans le monde.
«S’il y a des problèmes d’accès [aux vaccins], c’est plutôt dans l’approvisionnement logistique, ce n’est pas une question de transfert de propriété intellectuelle»
Est-ce important pour vous que tout le monde puisse avoir accès au vaccin contre le Covid-19?
A mon sens, la vaccination est fondamentale pour mettre fin à la pandémie. Aujourd’hui, cinq milliards de personnes ont été vaccinées dans le monde avec un vaccin ou un autre. Il y a eu des problèmes de disponibilité en 2021 mais il n’y a plus de restrictions maintenant. S’il y a des problèmes d’accès, c’est plutôt dans l’approvisionnement logistique, ce n’est pas une question de transfert de propriété intellectuelle. Nous sommes limités par les réseaux internes, les routes ou l’infrastructure.
La réactivité de Moderna pour fabriquer un vaccin adapté au Covid-19 a été immédiate au début de la pandémie. L’adaptation aux nouveaux variants le sera-t-elle aussi?
Omicron a été identifié aux EtatsUnis en novembre 2021. On a commencé à tester le vaccin spécifique à Omicron en janvier 2022, soit deux mois après. Nous pouvons aller encore plus rapidement. Si on peut construire une plateforme commune à tous ces vaccins, il suffira de prendre la séquence du variant, de l’intégrer dans la construction en quelques jours et de produire le vaccin. Il devra aussi être testé chez un groupe de personnes au sein d’un essai, afin d’être sûr qu’elles produisent les anticorps contre le virus que nous voulons. Nous pouvons accélérer la production du vaccin spécifique d’Omicron dès maintenant, pour approvisionner les pays avec de grandes quantités cet hiver. Nous avons été capables de passer d’une situation où ça prenait des années pour produire un vaccin à une situation où cela prend quelques semaines.
Pour quelle autre maladie comptez-vous utiliser la technologie de l’ARN?
Nous avons trois axes de travail: les maladies infectieuses avec les pathogènes respiratoires (covid, grippe, VRS) et les virus latents (cytomégalovirus, virus d’Epstein Barr et HIV), les cancers, et des maladies rares et cardiovasculaires. Ce n’est que le début, on élargit notre champ d’action grâce à cette technologie. Je pense que ce sera le futur de la médecine.
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