Dan Wechsler: «Chaque réalisateur ambitionne d’être sélectionné en compétition à Cannes»
A l’enseigne de la société Bord Cadre films, le producteur genevois a participé au financement de deux longs métrages en lice cette année pour la Palme d’or
En marge des quatre coproductions suisses qui seront montrées dans le cadre de la Quinzaine des réalisateurs et de l’ACID, le Festival de Cannes accueille dans sa sélection officielle deux longs métrages en partie financés par la société genevoise Bord Cadre films. Réalisés par le Suédois Ruben Östlund et le Russe Kirill Serebrennikov, Triangle of Sadness et La Femme de Tchaïkovski concourront tous deux pour la Palme d’or, récompense suprême déjà remportée par le premier avec
The Square en 2017, et à laquelle le second aurait pu prétendre en 2018 et 2021 avec Leto
et La Fièvre de Petrov.
A la tête de Bord Cadre, Dan Wechsler n’hésite pas une seconde quand on lui demande l’impact que peut avoir Cannes sur la carrière d’un film: «Dans le circuit des festivals, c’est celui qui offre le plus de visibilité et la plus importante reconnaissance. Chaque réalisateur ambitionne d’être sélectionné en compétition à Cannes, c’est une distinction en soi et un vrai atout pour avoir ensuite accès au marché des salles.» Dans sa logique de producteur attaché au cinéma d’auteur, le Genevois estime essentiel de passer par la case festivals, là où ses films peuvent rencontrer un large public tandis que lors de leur exploitation commerciale ils auront parfois un écho moindre. «On savait qu’un titre comme La Fièvre de Petrov n’allait pas performer dans les cinémas, mais si on l’a soutenu, c’est pour d’autres raisons. Entre Cannes en juillet et décembre, il a dû faire l’an dernier plus d’une vingtaine de festivals.»
Dan Wechsler cite aussi l’exemple de
Memoria, d’Apichatpong Weerasethakul, Prix du jury du dernier festival. Programmé plus tard au London Film Festival, il a réuni 2000 spectateurs en une seule séance au prestigieux British Film Institute, soit plus que lors de l’entier de son exploitation en Suisse romande. «Une sélection au Zurich Film Festival permet souvent de faire plus d’entrées en trois séances que durant un mois dans les salles suisses… Les festivaliers sont désormais le public numéro un pour le cinéma d’auteur.»
Financements publics insuffisants
Concrètement, Bord Cadre a pour vocation de réunir des fonds auprès de partenaires privés et contribue au financement de coproductions internationales. Dans cette logique, une visibilité en festival et des prix – comme encore l’Ours d’or obtenu à Berlin l’an dernier avec le film roumain Bad Luck Banging or Loony Porn – est un atout certain afin de valider les choix artistiques de la société. «Comme je travaille avec des gens qui prennent des décisions à titre individuel, un prix et la visibilité qui va avec renforcent la confiance.»
Tout en revendiquant sa nationalité suisse, Dan Wechsler – qui avait cofondé Bord Cadre films en 2004 avec Laurent Nègre pour produire le premier long métrage de ce dernier (Fragile) – avoue ne pas se focaliser sur le marché national et ne sollicite que très rarement les institutions publiques. Ici comme ailleurs, les financements publics sont par contre insuffisants pour permettre l’existence d’un cinéma d’auteur fort, estime-t-il. «C’est là que nous intervenons, avec Bord Cadre, et en collaboration avec notre associé de longue date Jamal Zeinal Zade.»
La Loi sur le cinéma, sur laquelle le peuple suisse est appelé à se prononcer ce week-end, serait pour lui – à travers l’obligation pour les plateformes de streaming de réinvestir 4% de leurs revenus dans la production nationale – un excellent moyen de rehausser la qualité et de stimuler la créativité. «Mais il faudrait également qu’en parallèle l’OFC [Office fédéral de la culture] augmente son financement pour le cinéma de 10 à 20 millions par an afin de permettre à des projets ambitieux d’émerger sur la scène internationale. Or depuis vingt ans, les enveloppes n’ont quasiment pas évolué…»
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