Le Temps

Oumou Sangaré, la voix des femmes africaines

Courtisée par Aya Nakamura et Beyoncé, la chanteuse malienne s’impose aujourd’hui comme une des plus grandes divas d’Afrique. Rencontre à Paris à l’occasion de la sortie de son nouvel album, «Timbuktu»

- Elisabeth Stoudmann @estoudmann

Dès que l’on entre dans les bureaux parisiens de BMG France, le profil d’Oumou Sangaré s’impose derrière la vitre de la salle de conférence­s. La perruque afro, les habits noirs sobrement élégants, la posture font d’emblée penser à la figure de la célèbre militante antiracist­e et féministe Angela Davis dans les années 1970. La comparaiso­n ne s’arrête pas là. Au Mali, Oumou Sangaré est plus qu’une star, elle est l’icône des femmes. Dans ses premiers albums des années 1990, Moussolou, Ko Sira, Worotan, elle chantait contre l’excision, les mariages arrangés. Trente ans plus tard, dans Timbuktu, elle interprète la souffrance des mères qui doivent envoyer leurs enfants mendier dans la rue, ou de celles qui doivent se sacrifier en travaillan­t nuit et jour pour que leurs enfants puissent aller à l’école.

«La langue n’est pas un frein»

Timbuktu, paraît alors qu’Oumou Sangaré accède à un nouveau niveau de reconnaiss­ance internatio­nale. Outre les nombreuses consécrati­ons, elle est désormais saluée par ses soeurs afro-européenne­s et afro-américaine­s. Aya Nakamura lui consacre en 2017 un titre – Oumou Sangaré – sur son premier album, Journal intime. Beyoncé emprunte de larges extraits de l’une de ses chansons cultes, Diaraby Nene, sur la chanson Mood for Eva de son opus cinématogr­aphique et musical Le Roi Lion (King is Back). Une consécrati­on qui a permis à cette chanson traditionn­elle du Wassoulou d’être vue quelque 2,6 millions de fois sur YouTube et streamée en conséquenc­e. Et pour parachever ce feu d’artifice, on murmure qu’un duo avec Youssoupha est en cours d’élaboratio­n.

Les ponts entre afro-descendant­s et Africains se consoliden­t. Que la chanteuse du Wassoulou, région à l’extrême sud du Mali, parvienne à faire résonner son chant en bambara dans le monde entier force le respect. «La langue n’est pas un frein. Les sentiments, les émotions, c’est d’abord le corps qui les ressent et c’est aussi le corps qui comprend la musique. Si la langue était un frein, Beyoncé n’aurait pas samplé ma musique», explique sans ambages la chanteuse.

Oumou Sangaré vient de loin: d’un père qui abandonne sa femme et ses six enfants alors qu’elle n’est encore qu’une fillette. Très vite, la future star malienne endosse des responsabi­lités qui ne sont pas de son âge: «Je chantais, j’accompagna­is ma mère. Quand elle partait, parfois deux ou trois mois en Côte d’Ivoire ou au Sénégal pour faire du «petit commerce», elle nous confiait à une voisine et je devenais la cheffe de famille. J’étais à la fois le père, la mère et ça dès l’âge de 13 ans…»

Un combat sans fin

Cet engagement pour la cause des femmes, tout comme sa force de travail impression­nante, Oumou le tient de son enfance et de son admiration sans faille pour sa mère. «La vie est un choix, j’ai choisi de me sacrifier pour que les femmes africaines puissent trouver leur voie. Les hommes me fuient. Je n’ai pas de vie sentimenta­le, mais je suis heureuse si je peux être un modèle de réussite, si je peux envoyer une force positive. Beaucoup d’entre elles m’envoient des messages et je vois qu’elles commencent à être présentes partout: en musique, dans les affaires, en politique.»

Guerrière dans l’âme, Oumou Sangaré s’est lancée dans la musique à la fin des années 1970, à une époque où cela était totalement déconsidér­é pour une femme, sauf si celle-ci était issue de la caste des griots, ce qui n’était pas le cas. Jeune adulte, elle obtient un succès foudroyant tant en Afrique de l’Ouest que sur la scène internatio­nale. Une réussite plus rapide et plus durable que certains de ses collègues masculins. Et – comme si cela ne suffisait pas – elle se sépare de son mari et se lance dans le business avec une marque de voitures, Oum Sang, un hôtel à Bamako et aujourd’hui un festival (FIWA) dans sa région d’origine, le Wassoulou, à l’extrême sud du pays, à la frontière de la Côte d’Ivoire et de la Guinée.

Un tel parcours lui a évidemment valu son lot de critiques, d’attaques, de jalousies. Elle y répond en chansons dans son nouvel album. «Tant que la force est là, je continuera­i. Autour de moi il y a tellement de misère. Je ne peux pas tout faire, mais je n’ai en tout cas pas le droit de m’asseoir et de dire: «Ça va, je m’arrête là». Je dois continuer à me battre pour être l’exemple de la femme. Baisser les bras leur enverrait un signal de défaite.»

Double ambassadri­ce

Si Oumou est l’ambassadri­ce de la femme, elle est aussi celle de sa région, le Wassoulou. Une région verdoyante, royaume des chasseurs qui est naturellem­ent à nouveau à l’honneur sur Timbuktu. Au début du confinemen­t, la chanteuse malienne s’est retrouvée «bloquée» aux EtatsUnis. Dans sa maison de Baltimore, elle a convié Mamadou Sidibé, joueur de kamele n’goni (instrument à cordes traditionn­el caractéris­tique du Wassoulou), résident de Los Angeles. Ensemble, ils ont composé ces 11 morceaux comme s’ils étaient à Yanfolila, le village d’origine d’Oumou Sangaré, et non à 200 miles de New York…

Deux ans plus tard, lorsqu’elles paraissent sur disque et en streaming, ces compositio­ns revêtent néanmoins des habits – guitares rock et blues – bien américains, sous un titre qui fait référence à «la ville aux 333 saints» située à l’opposé du Wassoulou, dans le nord du pays. «J’ai voulu partager ma douleur. Tombouctou est une ville importante pour moi, pour le Mali, pour l’Afrique, pour l’humanité. En chantant Timbuktu, je rends hommage à sa richesse, sa culture et son savoir et je m’élève contre les djihadiste­s qui ont saccagé la ville.»

L’entretien se termine et Oumou Sangaré déplie son mètre 80. La ressemblan­ce avec Angela Davis s’estompe pour céder la place à celle d’une reine ancestrale. Entourée de sa suite, elle sort dans la rue, la démarche assurée, bien consciente de sa position et fermement déterminée à ne rien lâcher.

Oumou Sangaré, «Timbuktu» (World Circuit/BMG).

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(Holly Whittaker) Avec son album «Timbuktu», Oumou Sangaré s’élève contre les djihadiste­s qui ont saccagé la ville malienne.
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