Le Temps

Mirion Malle, Purple Reine

- La chronique de Salomé Kiner

Eloge de la fuite: si ce titre n’était pas déjà pris, il s’étalerait à merveille sur le ciel mauve de la couverture du livre de Mirion Malle. Tous les éléments de l’histoire y figurent: Montréal sous la neige, Cléo dans la lumière avec ses cheveux bicolores – comme son coeur – et en chemisier rouge passion, des mains de femmes sur le point de l’étreindre. Au fond, dans la pénombre du crépuscule, gobé par les ténèbres, un homme la fixe – c’est Charles, impuissant à retenir celle qui partage sa vie.

Adieu triste amour est le deuxième ouvrage de fiction de la dessinatri­ce Mirion Malle, après C’est comme ça que je disparais, récit du quotidien face à la dépression. Mirion Malle s’était d’abord fait connaître avec des ouvrages didactique­s, comme La Ligue des super féministes (Ed. La Ville Brûle). Ces préoccupat­ions restent au centre de son nouveau livre. Sauf qu’ici, «on se donne du doux», explique un des personnage­s. Mais avant le doux, la grenade: au hasard d’une rencontre, Cléo découvre que Charles, son compagnon depuis trois ans, a lourdement harcelé une camarade de classe pendant ses études aux Beaux-Arts.

Il jure qu’il a changé, mais comment faire confiance? Comment vivre avec la toxicité tapie sous les draps, à fleur de SMS, postillonn­ant ses sucs infects dans chaque tentative de baiser? Cléo, comme il est désormais d’usage de le faire, va se lever et partir. Exilée à 1000 kilomètres de Montréal, elle trouvera le réconfort auprès d’une communauté de lesbiennes.

Adieu triste amour cultive la douceur sororale comme d’autres cultivent leur jardin. Le travail intérieur, la solitude choisie, les amitiés respectueu­ses et le temps de la création font de ce livre un manuel dessiné de bien-être et de bienveilla­nce. Il laisse aussi sur la langue une sensation d’âpreté: à situation égale, on n’a pas toutes le luxe de pouvoir quitter la ville pour planter des tomates, encore moins celui de quitter l’hétérosexu­alité pour rejoindre un phalanstèr­e LGBTQIA+.

Nous apprenons tous les jours à repérer et à nous protéger des privilèges de la domination masculine et des violences sexistes. Et souvent, ces mises à jour posent de véritables dilemmes éthiques. La solidarité machiste, la misogynie intégrée, l’hystérie médiatique, les jugements anachroniq­ues altèrent souvent notre discerneme­nt. Le procès Johnny Depp vs Amber Heard et la marée de commentair­es à charge qu’il charrie illustre tous les jours ce magma. Dans cette confusion généralisé­e, Mirion Malle fait figure de sage, un peu idéaliste, mais toujours courageuse.

Mirion Malle, «Adieu triste amour», Ed. La Ville Brûle.

des background­s et des nationalit­és différents, des riches, des pauvres, j’ai pu discuter avec des chefs, avec des gens qui avaient ouvert leur restaurant… Ça m’a donné plein d’idées pour la suite.»

Bereket comprend que son destin l’appelle en cuisine. Mais encore plus que l’âme d’un chef, il a celle d’un entreprene­ur. Etre son propre patron, voilà ce qui l’anime depuis son enfance. Un rêve d’indépendan­ce avant tout. Mais pas pour tout de suite. Il enchaînera encore de nombreux boulots avant d’avoir les clefs de sa propre «maison». Il sera trieur de colis à Daillens et agent de sécurité, avant de trouver un poste à Vallorbe. Un retour à la case départ? Au contraire, explique-t-il: «Pouvoir travailler à l’encadremen­t de ceux qui demandent l’asile est extrêmemen­t gratifiant. Je comprends les besoins de ces personnes car j’étais l’une d’entre elles à un moment de ma vie. Je suis heureux de pouvoir les aider comme j’aurais aimé que l’on m’aide quand je suis arrivé en Suisse.»

Se serrer les coudes

L’air serein sur sa terrasse yverdonnoi­se, le jeune restaurate­ur a pourtant connu des hauts et des bas, c’est le moins que l’on puisse dire. Mais il semble avoir toujours eu une confiance aveugle dans sa capacité à rebondir. Et l’envie, la certitude de faire quelque chose de cette nouvelle vie helvétique, à laquelle il a pourtant fallu s’adapter: «Culturelle­ment, entre l’Erythrée et la Suisse, il y a un monde. J’ai eu la chance de rencontrer mon ex-femme qui m’a rapidement intégré à son groupe de proches. Sinon, je pense que ça aurait été bien plus compliqué pour moi», avoue-t-il.

Il s’emploie aujourd’hui à rendre la pareille. A Vallorbe, où il travaille toujours, comme dans son restaurant qui fait aussi office de point de rencontres: «Environ 40% de ma clientèle est originaire d’Erythrée. C’est important de se serrer les coudes. Je peux leur offrir des conseils administra­tifs mais aussi concernant la vie de tous les jours, les choses à faire ou ne pas faire. En Erythrée, si on a rendez-vous chez le médecin à 10h, on s’y rend vers 11h. En Suisse, c’est impossible!» illustre-t-il dans un éclat de rire.

Le rituel du café

Culinairem­ent, c’est aussi le grand écart. Si cela fait désormais plus de quinze ans que Bereket a quitté Keren, il garde en tête le souvenir tenace des traditions de son pays. Loin du stress et de l’individual­isme, les repas sont une affaire de temps et de partage. Impossible de commencer à manger si toute la famille n’est pas autour de la table. Et quand on a grandi entre huit frères et deux soeurs, le dîner peut vite s’éterniser: «Le rituel du café est aussi un bon exemple, sourit-il. En Erythrée, on en boit trois, à 20 minutes d’intervalle. Dès qu’on a commencé à boire le premier, on est obligé de rester jusqu’au troisième, à moins d’une extrême urgence!»

Sur les coups de midi, Bereket apporte un immense plat constitué de ragoût de boeuf, de poulet, et de lentilles, le tout servi sur une grande galette traditionn­elle appelée injera. Ici, pas d’assiettes individuel­les ni de couverts, tout se déguste à la main: «Pour ceux qui découvrent la gastronomi­e érythréenn­e, c’est un choc, mais en règle générale, ils se débrouille­nt à merveille après quelques essais.»

Un choc mais surtout une agréable découverte pour les gens de la région. Ses clients favoris? «Les touristes suisses allemands!» répond-il sans hésitation. Et Bereket a aussi réussi le tour de force d’ouvrir son restaurant en plein covid. Depuis, il tourne à plein régime, réglé comme un véritable coucou suisse. Et le choix de monter son business à Yverdon est réfléchi: des restaurant­s érythréens à Lausanne, où il habite toujours, il y en a à la pelle. Tandis qu’ici, il a le champ libre. L’âme d’un entreprene­ur, assurément…

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