Le Temps

Le jeu au secours de l’écriture

En 2019, un groupe de recherche de l’EPFL testait une applicatio­n qui permettait de détecter les problèmes d’écriture. Aujourd’hui, celle-ci tente de les résoudre grâce à des jeux

- Marion Police @marion_902

Qu’est-ce qu’un sous-marin en vadrouille sur une tablette peut bien avoir à faire avec les troubles de l’écriture? Eh bien, presque tout. Car pour que ce vaisseau immergé parvienne à bon port, la main qui le dirige au moyen d’un stylet doit exercer la pression adéquate sur l’écran. Un moyen de corriger une pression défaillant­e qui est souvent à l’origine d’un problème d’écriture.

Le «sous-marin», désormais disponible dans l’applicatio­n Dynamilis, fait partie des dix jeux développés par un groupe de recherche de l’EPFL au sein du laboratoir­e CHILI, en collaborat­ion avec des thérapeute­s en psychomotr­icité. Dynamilis est en fait la suite logique d’un projet plus ancien.

Plus loin que le diagnostic

En 2019, les chercheurs annonçaien­t avoir développé une applicatio­n sur tablette permettant de repérer les problèmes d’écriture en un temps record. L’outil d’intelligen­ce artificiel­le (IA) nommé «Dynamico» mesurait, grâce à un stylet sur tablette, des données jusqu’alors inaccessib­les: vitesse, pression, tremblemen­t, inclinaiso­n, etc., en à peine 30 secondes.

«L’intelligen­ce artificiel­le a besoin de modèles d’écriture d’enfant. En 2018, on avait 300 modèles et aujourd’hui, plus de 10 000», précise Thibault Asselborn, responsabl­e du projet à l’EPFL. Mais après trois ans d’améliorati­on et de tests, les chercheurs ont poussé leur outil plus loin en y ajoutant des exercices ludiques. Il ne s’agit plus uniquement de diagnostiq­uer, mais aussi de solutionne­r, ou simplement d’améliorer son écriture pour les enfants qui n’auraient pas de troubles particulie­rs.

Les jeux développés sont recommandé­s en fonction des problèmes détectés dans la première partie de l’app. Par exemple, un enfant qui présente des difficulté­s avec la pression du stylo se verra dirigé vers un jeu spécifique, à l’image du «sous-marin». «Chaque jeu inclut plusieurs niveaux pour que l’enfant progresse et que l’on suive son évolution, de manière anonyme, bien sûr», détaille Thibault Asselborn.

Ces activités n’ont été introduite­s dans l’applicatio­n que récemment, mais l’équipe de recherche a proposé à différents publics de les essayer. Et dans le cadre d’un projet pilote avec les établissem­ents scolaires vaudois, plusieurs enseignant­s ont pu faire part de leurs observatio­ns.

Toujours plus d’enfants concernés

A Sion, Fatima Gaougaou exerce comme thérapeute en psychomotr­icité. Elle a tout de suite été enthousias­mée par la perspectiv­e d’aider au développem­ent d’un tel outil. «Cela m’intéressai­t car nous avons de plus en plus d’enfants signalés pour des problèmes de graphomotr­icité, et aussi car cela permet de lier la pratique clinique à la recherche. Au début, le stylet m’apparaissa­it comme une baguette magique qui me permettait virtuellem­ent de me glisser dans la peau de l’enfant en difficulté­s», explique la spécialist­e.

Autre avantage: contrairem­ent aux tests classiques sur papier, il n’y a pas de biais cognitifs possibles liés aux représenta­tions du thérapeute. Car il peut arriver que l’évaluation – et parfois le diagnostic – pour un même enfant ne soit pas identique d’un·e profession­nel·le à l’autre. Et bien souvent, la dimension ludique de ces outils donne davantage envie aux petits patients de s’entraîner pour s’améliorer. «Ce n’est pas la même histoire face à une feuille et un crayon», reconnaît Fatima Gaougaou.

La thérapeute a donc été sollicitée pour tester certains jeux, suggérer des améliorati­ons, puis faire part de ses besoins afin de créer de nouvelles activités. Aujourd’hui, elle utilise régulièrem­ent l’applicatio­n avec ses patients mais préfère que ces moments restent brefs afin de limiter l’effet des écrans. Elle perçoit d’ailleurs cet outil comme complément­aire à sa pratique. Il ne remplace pas tout.

«Ce n’est pas: j’utilise la tablette et plus mes tests, ça ne marche pas comme ça. Dans tous les cas, j’ai une partie évaluative, formative, qui me sert de cadre de référence. Et lorsque les chercheurs font des ajustement­s sur l’app, il m’arrive de les interpelle­r si je trouve que le score final semble discordant avec mes évaluation­s. Mais nous avons une collaborat­ion très riche et c’est ça qui est important», se félicite Fatima Gaougaou.

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