«Notre système n’oubliera pas de poser la question aux gens et de discuter»
Professeur et médecin au CHUV, Manuel Pascual salue le oui net des Suisses au consentement présumé en matière de don d’organes
Le signal du peuple est limpide: les dons d'organes doivent augmenter. A quels changements s'attendre sur le terrain? Entretien avec Manuel Pascual, directeur médical du Centre universitaire romand de transplantation (réunissant les HUG et le CHUV), médecin-chef du Centre de transplantation d'organes du CHUV, et professeur ordinaire à l'Université de Lausanne.
Le résultat est net, qu’est-ce que cela vous inspire?
D'abord un sentiment de grande satisfaction, puisque la majorité des Suisses est clairement en faveur du consentement présumé, et donc du don d'organes et de la transplantation. C'est une très bonne nouvelle: depuis des années, on dit qu'en Suisse environ la moitié des proches des donneurs potentiels accepte le prélèvement et que l'autre moitié le refuse, alors que les sondages évoquent 80% d'opinions favorables.
Que change cette votation?
Elle a le mérite de clarifier l'avis de la population suisse. Elle témoigne d'un nouvel état d'esprit, positif vis-à-vis de la transplantation. Nous y voyons plus clair. Les campagnes menées ces dernières années ne se positionnaient pas toujours, elles informaient. Désormais, l'information sera teintée plus positivement et petit à petit les mentalités devraient suivre le mouvement. De même, le dialogue se verra facilité dans les soins intensifs des hôpitaux, où les demandes de don d'organes se font souvent dans des moments extrêmement difficiles pour les proches. Ce sera aussi plus aisé de décider pour les familles impliquées. Les structures de soins des hôpitaux devront s'adapter à la hausse possible des prélèvements dans le futur.
La force du oui n'est pas la même des deux côtés de la Sarine. Craignez-vous que le taux d'organes prélevés n'augmente que peu en Suisse alémanique?
Je ne pense pas. Je n'accorde pas une énorme importance à ces différences culturelles entre régions linguistiques, je suis convaincu qu'une bonne information offre toutes les clés de décision aux gens. Regardez l'Espagne [exemple en la matière, ndlr]: il y a 30-40 ans, les gens n'étaient pas aussi favorables que maintenant au don d'organes. Des campagnes d'information ont été menées, et maintenant la population y adhère à 90%. En Suisse, le modèle qui sera désormais mis en place est excellent, il ne force pas la main des gens et de leurs proches. C'est l'exemple type de ce qui devrait être fait partout.
Concrètement, quel est le taux actuel de donneurs et quel objectif visez-vous?
Nous sommes à environ 20 donneurs par million d'habitants. Si on peut y ajouter 10 ou 20% supplémentaires, ce serait fantastique. L'Espagne en est à 40-45 donneurs par million d'habitants. Il est cependant trop tôt pour établir des prévisions précises. Une telle analyse ne pourra être effectuée que dans cinq à dix ans. Elle devra aussi prendre en considération la qualité des organes obtenus, qui pourrait s'amenuiser s'il y a plus de donneurs âgés.
Est-ce vraiment ce système qui augmente les dons d’organes? Ne craignez-vous pas que, dans la pratique, peu de choses changent puisque, comme aujourd’hui, la famille conserve le pouvoir de refuser le don?
Le don comporte un ensemble de paramètres. Le consentement présumé seul ne se traduirait pas par une forte hausse. Mais il change la donne et influencera l'attitude générale. En parallèle, d'autres mesures restent importantes, comme la professionnalisation dans les soins intensifs pour identifier les donneurs, les prendre en charge, coordonner les dons localement et avec Swisstransplant, savoir comment aborder les familles et les proches dans des situations humaines difficiles. Tous ces ingrédients sont absolument nécessaires et fonctionnent déjà bien en Suisse.
«Le modèle qui sera mis en place est excellent» MANUEL PASCUAL, DIRECTEUR MÉDICAL DU CENTRE ROMAND DE TRANSPLANTATION
Ne faut-il pas envisager une prochaine étape dans le développement de la loi et amener tout un chacun à se prononcer clairement sur la question de son vivant?
Pas forcément. Se prononcer un jour, c'est une chose, mais que fait-on si on révise son opinion des années plus tard? Faut-il actualiser annuellement les registres? Ce serait compliqué. Notre système à venir semble le meilleur possible. Il n'oubliera pas de poser la question aux gens et de discuter. Si le don était obligatoire ou automatique, ce serait dangereux et les individus ne seraient plus respectés dans leurs choix.
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