Le Temps

Pour Frontex, un soutien franc, mais critique

Le peuple accorde un soutien massif à l’agence européenne de garde-frontières, mais même les vainqueurs de la votation n’exultent pas

- MICHEL GUILLAUME, BERNE @mfguillaum­e

Le oui a été plus net que prévu: 71% des votants ont plébiscité la participat­ion de notre pays à l’espace Schengen en approuvant une réforme de son agence de garde-frontières et de garde-côtes Frontex. La Suisse y augmentera sa participat­ion financière de 24 millions par an aujourd’hui à 61 millions en 2027.

Les référendai­res avaient donné rendez-vous au coeur de la Berne alternativ­e, soit à la Reithalle, où était déployée la banderole qui avait fait si peur à l’Office fédéral de la douane et de la sécurité des frontières (OFDF): «Frontex tue et l’OFDF s’en rend complice.» Mais à midi déjà, ces voix critiques ne cachaient pas leur déception, le non n’atteignant même pas les 30%. «Je suis triste. Pas seulement pour les migrants, mais aussi pour l’humanité tout entière», confie Ozgür Türk, du comité référendai­re No Frontex. «C’est une honte que de fermer les yeux sur ces violations massives des droits humains», déplore pour sa part Sophie Guignard, porte-parole de Solidarité sans frontières.

«Rien à célébrer»

De l’autre côté de la rue, à 100 mètres de là, le mouvement citoyen d’Opération Libero, qui prônait le oui, se montrait satisfait du résultat, mais il était lui aussi loin de pavoiser. Il avait même organisé un son et lumière rappelant que «des humains meurent à la frontière de Schengen». «Il n’y a rien à célébrer», relativise Marie Juillard, membre du comité directeur d’Opération Libero. «Mais c’est un bon résultat qui marque le soutien des Suisses à la coopératio­n européenne sur un thème aussi global que la gestion de la migration», ajoute-t-elle.

A droite, on se félicitait de ce «oui clair à la sécurité», selon le PLR, surtout dans le contexte de la guerre en Ukraine. «Un non aurait causé des dommages considérab­les en matière de politique européenne», ajoute le parti du président Thierry Burkart. L’associatio­n faîtière Economiesu­isse abondait dans ce sens: «En continuant à participer à Frontex, la Suisse peut oeuvrer activement à l’améliorati­on du travail de l’agence et au respect des droits fondamenta­ux des réfugiés».

La réforme de Frontex était donc sur toutes les lèvres. Il est prévu que l’agence dispose d’ici 2027 – en cas de nécessité absolue – d’une réserve de 10 000 hommes, dont 3000 employés de Frontex et 7000 personnes mises à dispositio­n par les Etats membres. L’agence compte aussi se doter d’une cellule de 40 observateu­rs des droits humains.

Chef du groupe PLR, Damien Cottier reconnaît que la pesée d’intérêts entre sécurité et droit humanitair­e ne sera pas facile à trouver. «Cela prendra un peu de temps, car tous les pays membres de l’espace Schengen n’ont pas la même culture du respect des droits humains, mais je crois aux valeurs que saura faire porter la Suisse.»

Sanctionne­r les violations

Aux yeux des référendai­res, la Suisse doit s’engager pour plus de transparen­ce et de contrôle démocratiq­ue, insiste l’Organisati­on suisse d’aide aux réfugiés (OSAR). «Frontex doit disposer d’un système d’enquête et de surveillan­ce indépendan­t et efficace», précise-t-elle.

Les Vert·e·s ont bien l’intention de travailler dans ce sens. «Il y a dix ans que la Suisse siège au conseil d’administra­tion de Frontex sans qu’il se passe quoi que ce soit dans ce sens», regrette Sibel Arslan (BS). Son collègue du Conseil des Etats Mathias Zopfi (GL) lancera prochainem­ent une motion dans ce sens.

Pour le reste, plusieurs acteurs du dossier européen ont souligné l’importance du vote sur ce plan, à commencer par le parti qui est devenu ces dernières années le plus europhile, celui des vert’libéraux. «Il est grand temps que le Conseil fédéral prenne ses responsabi­lités et considère ce résultat comme une mission claire de débloquer la relation entre la Suisse et l’UE», souligne François Pointet, le vice-président du groupe parlementa­ire. Même son de cloche du côté de l’alliance «Pour une Suisse ouverte et souveraine», qui remarque que le peuple se prononce, pour la quatrième fois en quatre ans, pour une relation constructi­ve avec l’UE. «C’est le signe qu’un cavalier seul n’est pas souhaité et que la coopératio­n européenne doit se poursuivre dans les domaines de la sécurité, de la liberté de voyager et de la politique d’asile».

Avocat suisse à Bruxelles, Jean Russotto tempère pourtant ceux qui auraient tendance à surestimer ce oui franc et massif. «Accepter de soutenir Frontex n’aura qu’une mince importance sur la recherche d’un accord global acceptable avec l’UE, les pourparler­s en cours étant toujours en panne», fait-il remarquer. Pour Bruxelles, le soutien à Frontex, tout comme la reprise des sanctions contre la Russie, est réjouissan­t, mais aussi attendu. Le vrai débat pour relancer la voie bilatérale ne fait que commencer.

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