Le Temps

«Subvention­ner le cinéma reste controvers­é pour une partie de la population»

Auteur de plusieurs études sur la politique cinématogr­aphique, le Lausannois Olivier Moeschler analyse l’issue d’une campagne bien plus favorable que les partisans ne l’imaginaien­t

- N. DU.

«Le cinéma suisse fait partie de l’identité culturelle de ce pays» OLIVIER MOESCHLER, SOCIOLOGUE

Hormis lors des débats sur la SSR et la redevance, il n’est pas fréquent que la production de films et de séries soit soumise à un vote populaire. Notamment auteur d’une étude sur la politique du cinéma dans le pays (Cinéma suisse, dans la collection Le savoir suisse), Olivier Moeschler, sociologue de la culture, chercheur associé à l’Université de Lausanne, analyse l’issue de ces débats.

La campagne a été plus vive que prévu, et surtout avec une opinion publique qui a tangué d’un côté et de l’autre. Comment le comprendre?

Le cinéma est un art qui est en même temps, on le sait, une industrie et une économie. Le subvention­ner a toujours été et reste controvers­é pour une bonne part de la population. De plus, le cinéma suisse souffre, souvent à tort, d’une image négative d’un cinéma d’auteur cérébral et ennuyeux auprès du grand public: cette révision de la loi donnait l’impression de taxer ce qui marche – les séries Netflix – pour financer ce qui ne marche pas, alors qu’il s’agissait d’un simple alignement sur les pratiques des pays alentour.

L’ampleur du oui a surpris, alors que les films suisses ne sont quand même pas des blockbuste­rs… Existe-t-il un attachemen­t méconnu à la création nationale?

Même s’il provoque des réactions ambivalent­es – et peut-être pour cette même raison –, le cinéma suisse, tiraillé entre Charlie et Tanner, fait partie de l’identité culturelle de ce pays. C’est un peu notre Sonderfall culturel, notre résistance aux grosses machines hollywoodi­ennes! Et les Suisses ont montré, avec Tschugger et Hors saison, qu’ils arrivent à produire de l’audiovisue­l exigeant, inventif, drôle et plaisant – au cinéma suisse de s’en inspirer.

Durant ces débats se sont opposées la logique «je paie pour ce que je veux» et l’idée du cadre d’Etat. Cette majorité du dimanche 15 mai est-elle génération­nelle, due aux seniors?

Il faudrait faire une enquête, mais le référendum ayant été lancé par des jeunes… Alors que l’article constituti­onnel sur le cinéma prévoyant aussi des aides à la production avait passé haut la main en 1958, le facteur génération­nel est possible et même probable. De plus, en Suisse comme ailleurs, les personnes âgées sont nombreuses, et elles sont nombreuses à voter…

Ce oui va-t-il ouvrir des débats sur le cadre légal dans d’autres domaines, comme la musique en ligne?

La politique culturelle fédérale est traditionn­ellement discrète, fédéralism­e oblige, sauf pour le cinéma – véritable exception culturelle dans le pays – et, il est vrai, depuis une autre votation fédérale, la musique. Je ne pense pas que la démarche s’élargira, car les débats ont été houleux, et la Confédérat­ion doit, surtout pour les Alémanique­s qui sont majoritair­es, rester subsidiair­e. L’autorité fédérale doit rester pour ainsi dire en arrièrepla­n et ne pas jouer les premiers rôles. ■

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