Le Temps

Guerre en Ukraine: impact sur la place financière

- YVES MIRABAUD PRÉSIDENT DE LA FONDATION GENÈVE PLACE FINANCIÈRE

Cela fait bientôt trois mois que le conflit armé a éclaté en Ukraine. Il est temps de tirer un premier bilan de son impact sur la place financière suisse. Par le biais de l’Associatio­n suisse des banquiers (ASB), le secteur bancaire et financier a condamné la guerre d’agression de la Russie contre l’Ukraine. Il a également accueilli favorablem­ent les sanctions édictées par le Conseil fédéral à l’encontre de la Russie. Ces mesures sont nécessaire­s pour rétablir une situation conforme au droit internatio­nal.

C’est aussi le lieu d’exprimer notre solidarité avec le peuple ukrainien qui souffre. Pour rappel, la Suisse est tenue d’appliquer les sanctions de l’ONU depuis qu’elle a adhéré à cette organisati­on en 2002. S’agissant des sanctions européenne­s, le Conseil fédéral décide de les reprendre ou non, après avoir procédé à une pesée des intérêts en présence. L’histoire démontre que, de manière générale, notre pays participe à l’applicatio­n des sanctions décrétées par Bruxelles.

Afin de délimiter en Suisse l’applicatio­n de sanctions internatio­nales, le Conseil fédéral édicte des ordonnance­s en se fondant sur la loi sur les embargos. Le Secrétaria­t d’Etat à l’économie (Seco) est chargé de la mise en oeuvre des mesures, étant précisé que la violation de ces dispositio­ns est punie pénalement par des peines pouvant aller jusqu’à cinq ans d’emprisonne­ment.

Gel des avoirs: alignement avec l’UE

En lien avec l’Ukraine, le catalogue des mesures comprend en particulie­r le gel des avoirs des personnes physiques et des entreprise­s russes et biélorusse­s visées dans l’annexe à l’ordonnance du Conseil fédéral. Début mai, la liste dépassait les 1000 individus et entités.

Dès la promulgati­on de l’ordonnance du Conseil fédéral, les banques suisses ont procédé à l’analyse de leur base de données afin de détecter les clients concernés. Il faut rappeler que le droit suisse impose aux banques de connaître leur clientèle. Elles doivent identifier les véritables ayants droit économique­s des avoirs. Contrairem­ent à un vieux mythe, il n’existe pas de comptes anonymes auprès d’établissem­ents bancaires helvétique­s et la création d’une société offshore ne permet pas de dissimuler l’identité du bénéficiai­re final des actifs.

A mi-mai, la somme des avoirs gelés en Suisse atteignait 6,3 milliards de francs. A titre de comparaiso­n, le 8 avril 2022, la Commission européenne a annoncé que, sur la base des données livrées par la moitié des Etats membres, environ 30 milliards d’euros d’actifs avaient été bloqués. Précisons encore qu’en Suisse le gel des avoirs doit être déclaré sans délai au Seco, en mentionnan­t le nom du bénéficiai­re ainsi que la nature et la valeur des biens concernés.

L’Union européenne (UE) a salué la diligence dont notre pays a fait preuve dans l’applicatio­n des sanctions. Cela rend d’autant plus insupporta­bles les accusation­s infondées proférées récemment par la Commission d’Helsinki, organe composé principale­ment de membres du Congrès américain. Lors d’une audition publique, menée uniquement à charge, ce groupe a soutenu que la Suisse ferait preuve de laxisme envers les oligarques russes.

Le conseiller aux Etats socialiste genevois Carlo Sommaruga a cru bon de s’exprimer dans ce contexte pour inviter les Etats étrangers à faire pression sur la Suisse. Il faut en revanche saluer l’interventi­on du président de la Confédérat­ion, Ignazio Cassis, qui a exprimé sa ferme réprobatio­n à l’intention du secrétaire d’Etat Blinken.

Interdicti­on concernant les dépôts et les transactio­ns

L’ordonnance du Conseil fédéral prévoit également une interdicti­on pour les banques suisses d’accepter des dépôts. Cette sanction concerne les ressortiss­ants russes ou les personnes physiques résidant en Fédération de Russie. Elle touche aussi les banques, entreprise­s ou entités établies dans cet Etat. Cette mesure ne s’applique que si la valeur totale des dépôts de la personne physique ou morale dépasse les 100 000 francs.

En revanche, cette interdicti­on ne concerne pas les ressortiss­ants suisses, les ressortiss­ants d’un Etat membre de l’EEE ou les personnes physiques titulaires d’un titre de séjour temporaire ou permanent en Suisse ou dans un Etat membre de l’EEE.

Le champ d’applicatio­n de cette mesure s’avère donc beaucoup plus large que le gel des avoirs évoqué plus haut, qui se limite strictemen­t à une liste de personnali­tés et entités russes ou biélorusse­s.

Enfin, l’ordonnance interdit toute transactio­n avec une entreprise sise en Fédération de Russie, à l’exception des transactio­ns nécessaire­s à l’achat, l’importatio­n ou au transport de pétrole et de gaz naturel, ainsi que de titane, d’aluminium, de cuivre, de nickel, de palladium et de minerai de fer.

Cette dispositio­n revêt une grande importance pour Genève, comme centre d’importance mondiale pour le négoce de matières premières et son financemen­t. Si elle est concrétisé­e, la volonté exprimée le 4 mai par l’UE d’introduire une interdicti­on progressiv­e des importatio­ns de pétrole russe dans les six mois et des produits raffinés d’ici à fin 2022 aura sans conteste un impact sur ce domaine économique.

Sanctions et politique commercial­e

En conclusion, on constate que le champ d’applicatio­n des sanctions est très vaste, mais prévoit un certain nombre d’exceptions, en particulie­r pour les double-nationaux russo-suisses ou les Russes domiciliés en Suisse ou encore pour des opérations de financemen­t de matières premières. Dans ces cas, le cadre légal suisse usuel s’applique, dont l’un des principes cardinaux est la liberté contractue­lle. Chaque banque reste libre de conclure ou non un contrat avec telle ou telle contrepart­ie, personne physique ou entreprise, en fonction de son modèle d’affaires et de son appétence au risque. Les sanctions prévues par d’autres pays, dont les Etats-Unis, entrent également en ligne de compte dans cette équation. Personne n’a oublié les milliards de dollars d’amendes infligées à une banque suisse par une autorité étrangère à la suite des accusation­s de violations d’embargos. Chat échaudé craint l’eau froide! ■

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