«Régler les affaires prendra jusqu’en 2024»
Les critiques sont normales et il faut les accepter, affirme André Helfenstein, le patron de l’entité suisse de Credit Suisse, en référence aux scandales qui ont touché le groupe bancaire ces dernières années. Mais l’activité nationale est peu affectée, s
«On reçoit des critiques, c'est normal et il faut les accepter.» Directeur général de l'entité suisse de Credit Suisse, André Helfenstein estime que le groupe bancaire doit assumer sa responsabilité dans les différents scandales qui ont émaillé l'actualité ces derniers temps. Les activités en Suisse sont marginalement affectées par ces affaires, assure le banquier zurichois de 55 ans: des recrutements prennent un peu plus de temps et la banque n'a peut-être pas remporté de contrats qu'elle aurait gagnés dans le passé.
La division suisse, qui n'est pas concernée par les questions liées aux fonds russes, a néanmoins réalisé un résultat record en 2021, et fourni 22% des revenus du groupe au premier trimestre. Cette entité compte environ 16000 collaborateurs sur les quelque 50000 du groupe Credit Suisse.
Archegos, Greensill, etc.: après la succession d’affaires qui ont touché Credit Suisse, quand pensez-vous apercevoir la fin du tunnel?
Nous devons créer les fondations pour cela cette année déjà. Cela ne se voit peut-être pas dans l'immédiat, mais ce que nous faisons cette année est très important. Cela nous mènera en 2023 et dans une certaine mesure jusqu'en 2024. D'une part, parce que nous avons d'importantes questions à régler et, d'autre part, le faire sérieusement et efficacement prend du temps. Une chose est de régler ces questions et une autre est que le public et les clients le constatent.
Vous avez pris vos fonctions début 2020, en remplacement de Thomas Gottstein qui devenait, lui, directeur général de Credit Suisse, juste avant que la pandémie éclate. Et que les affaires se succèdent. Etes-vous toujours satisfait d’occuper ce poste?
C'est un privilège d'avoir un job comme celui-ci. On l'accepte évidemment avec des responsabilités, comme celles d'affronter tous ces problèmes, et il y a bien sûr des périodes plus difficiles que d'autres, au Credit Suisse comme dans n'importe quelle entreprise. C'est normal. Au fond, ce que vous souhaitez, c'est de vous lever chaque matin en vous réjouissant du travail à réaliser et c'est ce que je fais, malgré les défis. Mais c'est vrai, ce n'est pas toujours facile.
Quels sont les objectifs de l’entité suisse de Credit Suisse?
Quand j'ai repris cette fonction, Thomas Gottstein l'avait occupée pendant quatre ans et les affaires se portaient très bien. Mon objectif était alors de faire en sorte que cela continue, mais aussi d'améliorer ce qui pouvait l'être. Puis la pandémie est arrivée. En tant que banque, nous avons été moins affectés que d'autres secteurs. Elle a imposé d'autres défis, mais aussi offert des opportunités, comme celui des prêts covid – qui nous ont permis d'être très réactifs auprès des entreprises – de proposer un modèle de travail flexible et hybride, ou du développement de la numérisation. Les objectifs ont changé, momentanément, mais nous sommes désormais revenus à ceux de mon entrée en fonction. Et cela fonctionne bien. L'an dernier, l'entité suisse de Credit Suisse a enregistré une année record. Quant aux affaires, nous ne sommes pas directement impliqués puisqu'elles se sont produites dans d'autres divisions. Mais notre siège étant basé en Suisse, elles sont largement commentées dans les marchés ou dans les médias et cela représente une forte pression de l'extérieur.
Vous avez l’air de rester optimiste…
C'est important de l'être, mais pas de façon naïve. Il faut aussi regarder les défis en face. Cela relève aussi de ma responsabilité, car je siège au comité exécutif de la banque. Nous faisons de gros efforts pour expliquer ce qu'il se passe à nos clients, ce qu'il ne se passe pas et pourquoi ils peuvent continuer à nous faire confiance et à travailler avec nous. Il ne faut pas éviter ces discussions, comme il ne faut pas esquiver les défis. D'ailleurs, dans l'ensemble, les clients restent fidèles, ils nous confient même davantage d'affaires.
Vous êtes dans une position étrange: les scandales n’émanent pas de votre entité, mais vous faites partie du même groupe et donc vous les subissez…
Oui, les activités en Suisse se portent bien et il y a une tension de ce fait. Mais il faut mettre les choses en perspective. Prenez les années 1990, où la crise immobilière avait fortement impacté les affaires en Suisse. Nous ne voulons plus être victimes de ces accidents qui sont inacceptables à plus d'un titre. Ce n'est pas facile, mais nous faisons partie d'un groupe dont nous bénéficions par ailleurs aussi de l'expertise globale.
Concrètement, qu’est-ce que les scandales ou accidents ont changé?
Quand il se produit des événements de ce genre, on essaie généralement de prendre du recul, de voir ce que l'on peut en apprendre. Mais aussi d'évaluer les risques que l'on prend en général. L'été dernier, nous avons fait un examen des activités suisses de la banque dans ce but.
Avez-vous découvert d’autres problèmes en faisant cet examen?
Non. Nous n'avons rien constaté d'alarmant, mais nous avons apporté des améliorations.
Quelles conséquences la réorganisation lancée en novembre 2021 a-t-elle eues sur le fonctionnement de l’entité suisse de Credit Suisse?
Je dirige toujours la région Suisse, comme auparavant, et certaines responsabilités sont partagées avec d'autres divisions globales du groupe, dont celles concernant la gestion des clients extrêmement fortunés ou celles de la banque d'investissement. Ce sont les seuls changements. Les activités de financement des entreprises, des clients privés ou celles liées aux clients institutionnels comme les caisses de pension n'ont pas changé. La réorganisation a beaucoup plus touché la gestion de fortune globale et la banque d'investissement dont nous réduisons la taille, le private banking international et certaines fonctions de soutien.
Quelle impression cela fait-il de travailler pour une banque qui a émis cinq avertissements sur résultats au cours des six derniers trimestres?
Ce n'est pas évident. On reçoit des critiques, c'est normal et il faut les accepter. Cela concerne également les collaborateurs qui n'en sont ni responsables ni ne sont vraiment concernés par la gestion de ces difficultés dans le cadre de leurs activités. En outre, on préférerait que les clients se lèvent le matin et ne lisent pas de nouvelles négatives à propos de notre groupe. On doit cependant assumer notre responsabilité pour ces faits.
Est-ce que recruter des employés ou attirer des clients s’est avéré plus difficile récemment?
Dans une certaine mesure, oui. Cela demande certainement davantage de travail. Nous recevons toujours un grand nombre de dossiers pour des emplois en Suisse, mais il peut être plus difficile, à la marge, d'arriver à la conclusion du processus. Ce n'est pas un problème massif, mais c'est plus difficile qu'auparavant. On rencontre des gens mais ils préfèrent parfois attendre un peu. La rotation de personnel n'est pas plus élevée qu'avant le covid, nos collaborateurs sont heureusement très loyaux.
Avez-vous dû vous montrer plus généreux envers les collaborateurs pour les conserver?
Pas vraiment, il n'existe pas de programme de ce type au sein de la banque en Suisse.
Et concernant les clients? Avez-vous dû changer votre politique de prix?
Non. D'ailleurs, ce n'est pas ce qu'attendent les clients. Ils veulent savoir ce que nous pouvons leur proposer et surtout faire pour eux. C'est la même logique avec les employés. Il faut prendre du temps pour parler ouvertement des problèmes et travailler à trouver des solutions.
Les clients nous ont confié beaucoup de nouvelles affaires l'an dernier ainsi que durant le premier trimestre. Mais parfois, lorsque nous sommes en concurrence avec d'autres banques, des dossiers que nous aurions peutêtre remportés par le passé peuvent nous échapper. Mais là encore de manière marginale.
La pandémie a encouragé les clients à utiliser davantage les services numériques des banques. Credit Suisse compte 108 agences, contre 180 en 2013. Cela signifie-t-il que d’autres agences seront fermées à l’avenir?
On ne peut jamais rien exclure, mais nous n'avons pas le projet de le faire actuellement. La pandémie a accéléré le recours aux services numériques et d'une certaine manière nous avons été chanceux de lancer notre offre digitale CSX en octobre 2019, juste avant l'arrivée du covid. CSX compte actuellement 125000 clients et nous en visons 200000 pour la fin de l'année, avec une offre qui s'élargit régulièrement. La fréquentation des succursales est toujours inférieure à son niveau pré-pandémie. Mais ces dernières sont en phase de transformation et sont équipées pour être davantage orientées sur le conseil que sur les transactions. Les clients qui viennent se renseigner sur un service ou un produit peuvent ainsi désormais accéder très facilement à un conseiller spécialisé en vidéoconférence, par exemple.
Quel bilan tirez-vous des prêts covid?
C'était un grand succès. Un peu plus de la moitié des prêts ont été remboursés. Au total, nous avons prêté 3,3 milliards de francs, ce qui était conforme à nos prévisions. On pourra tirer un bilan définitif seulement lorsqu'ils arriveront à échéance, mais jusqu'ici tout s'est très bien passé.
Avez-vous gagné ou perdu de l’argent dans cette opération?
A priori, l'impact sera neutre. Mais on en sera certain seulement à l'échéance quand l'ensemble des prêts seront remboursés. En tant que banque, nous avons en outre indiqué dès le début que nous ferions don des bénéfices éventuellement réalisés sur les crédits covid à des entreprises en difficulté.
Avant de rejoindre Credit Suisse en 2007, vous avez travaillé pour la société de conseil Boston Consulting Group. A l’époque, avez-vous conseillé une entreprise qui se trouvait dans la même situation que Credit Suisse aujourd’hui?
A vrai dire non, car j'étais surtout actif dans les fusions entre sociétés et d'autres thèmes stratégiques.
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«On préférerait que les clients se lèvent le matin et ne lisent pas de nouvelles négatives à propos de notre groupe. On doit cependant assumer notre responsabilité pour ces faits»